Avec six semaines d'avance, le 16 décembre
1928, viennent au monde deux bébés, Philip, 2 kg, blond et braillard, et sa
soeur jumelle, Jane Charlotte, 1,5 kg, calme et brune. Leur mère, Dorothy,
n'avait pas assez de lait pour deux et la santé des enfants
décline. Jusqu'au décès de Jane le 26 janvier. Phil se remet. Mais ce décès
(dont on l'informera très jeune) le marquera à vie.
Fin 1929, suite à une mutation
professionnelle d'Edgar, le père, fonctionnaire au ministère de
l'Agriculture, la famille se retrouve dans la région de San Francisco. Phil
est un bébé éveillé mais souvent malade. Sa mère est de type possessif.
Enfant (1933-1941)
Dorothy divorce en 1933. Phil vit alors avec
sa mère et, pour quelque temps seulement, avec sa grand-mère Meemaw :
Dorothy, fuyant Edgar dont elle craint qu'elle lui fasse enlever la garde de
l'enfant, l'emmène à Washington, où ils connaissent des difficultés
financières. La relation mère-fils est complexe et passionnelle. Phil a des
difficultés à manger en public.
En 1938, retour sur San Francisco, plus
précisément à Berkeley qui convient mieux aux sentiments féministes et
pacifistes de Dorothy. Phil est un bon élève, pas très sportif, orgueilleux,
mal dans sa peau, il souffre d'asthme et de tachycardie. Il développe un
fort goût pour la narration, et commence à écrire de petits textes.
A 12 ans, il apprend à jouer du piano et à
taper à la machine à écrire, lit ses premiers magazines de SF et commence
même à les collectionner. C'est également l'âge de sa première rencontre
avec un psychanalyste.
Adolescent (1942-1947)
Son premier roman, il l'écrit à 14 ans :
Return to Lilliput (perdu, inspiré de Swift). Il publie ses premiers
textes (une quinzaine de nouvelles et de poésies entre 1942 et 1994) sous la
rubrique Auteurs en Herbe de la Berkeley Gazette.
Il apprend l'allemand au lycée. C'est toujours
un très bon élève, bien que renfermé. Il est sujet à des crises de vertige,
souffre d'agoraphobie et de claustrophobie, développe une peur panique de la
maladie, est un peu paranoïaque. On ne lui connaît pas de petite amie
régulière. Il écrit sa première nouvelle de SF, commence à travailler comme
vendeur dans un magasin de disques et de radio-télévision, appartenant à
quelqu'un qui sera pour lui une figure de père : « ce rêveur
autocrate, ce protecteur énergique, excentrique, drolatique, ce débrouillard
à la petite semaine qu'était Herb Hollis » [Sutin, p. 93]. Ce magasin aura un rôle très
important dans sa vie. Il commence à s'y épanouir.
Autonome (1947-1950)
En 1947, il quitte la maison de sa mère et
emménage dans un immeuble occupé par de jeunes artistes. Dans ce milieu qui
méprise la SF, il la délaisse un peu et dévore la littérature, Proust,
Kafka, Xénophon, Joyce, entre autres.
En 1948, il vit sa première expérience
sexuelle avec une cliente régulière du magasin, Jeannette Marlin. Ils se
marient mais divorcent six mois après. Suivent quelques aventures. Il écrit
des dizaines de nouvelles, essentiellement réalistes, et tente de reprendre
des études de philosophie.
Ecrivain enfin (1950-1958)
publié
C'est encore au magasin qu'il rencontre celle
qui va devenir sa seconde épouse, Kleo Apostolides (mariage en juin 1950) et
Anthony boucher, éditeur de SF, qui va l'encourager à s'engager dans ce
domaine, et sera le premier acheteur d'une de ses nouvelles, Reug. Dick se met alors à envoyer ses textes
aux magazines de SF (pulps), et ça marche ! Il quitte le magasin, prend
un agent, il est lancé : 4 nouvelles publiées en 1952, 30 en 1953, 58
en 1954 !
En 1954, il se met au roman (par préférence et
parce que les pulps s'épuisent). Malgré toutes ses nouvelles publiées, les
Dick ne s'en sortent financièrement que grâce à l'emploi à mi-temps de
Kleo. Lui partage ses journées entre la lecture (littérature française,
russe, mais aussi ouvrages traitant de métaphysique, de gnosticisme ; et
bien sûr de la SF), ses disques, sa femme, son chat et l'écriture. C'est
une vie de bohème, heureuse, d'une grande curiosité intellectuelle.
...mais insatisfait
Dick ne veut pas rester dans le ghetto de la
SF, mais assiste à la Convention Mondiale de la SF où il se fait quelques
amis (Harlan Ellison, Poul Anderson) et rencontre Van Vogt.
A noter qu'à cette époque il arrive que les
Dicks gardent un enfant autiste (fils d'un ami)...
C'est également à ce moment qu'intervient le
fameux épisode du FBI qui est fondateur de la conviction qu'acquérera Dick
une dizaine d'années plus tard d'être constamment surveillé par le
gouvernement : deux agents du FBI se présentent un jour à leur domicile,
leur demandant d'identifier des personnes sur des photos de rassemblement de
groupuscules gauchistes (fréquentés par Kleo), ils sont en fait à la pêche
d'informations. Ils sympathisent plus ou moins, reviennent plusieurs fois et
finissent par leur proposer d'étudier à Mexico tous frais payés à condition
d'y être leurs informateurs. Après le refus des Dicks, leurs visites
cessèrent.
Il publie toujours beaucoup, mais espère
encore percer dans la littérature mainstream. C'est sans doute son
seul grand regret sur cette époque de sa vie.
Kleo et lui ressentent le besoin de s'éloigner
de Berkeley l'agitée, aussi déménagent-ils. Nous sommes en 1958. Depuis
1951, Phil a écrit 13 romans (6 de SF aussitôt publiés, 7 de littérature
générale jamais publiés de son vivant) et 80 nouvelles.
Père de famille à North Point Reyes (1958-1965)
C'est une bourgade à 40 km au nord
de San
Francisco. Les Dick y font la connaissance d'Anne Williams Rubinstein
« une intellectuelle de la classe WASP, pleine d'une énergie et
d'une assurance qui ne demandait qu'à s'exprimer » [Sutin, p. 164], issue d'un milieu aisé,
licenciée en psychologie et veuve d'un poète. Phil la revoit seule (pendant
que Kleo travaille), il est impressionné par son aisance financière. Ils
tombent amoureux : Phil divorce et vit avec Anne et ses 3 filles à partir de
fin 1958 (ils se marieront le 1o avril 1959). Il modifie alors
ses horaires
d'écriture, se laisse pousser la barbe. Ils élèvent canards, pintades,
poulets... La belle vie pendant quelque temps.
Une fille, Laura Archer, nait de leur union
le 25 février 1960. Anne témoigne qu'en voyant Laura pour la première fois,
Phil a dit « Maintenant enfin ma soeur est compensée ».
Il écrit Confessions d'un barjo à l'été
1959, avec des personnages inspirés d'Anne et lui-même. Mais les relations
entre les deux se détériorent : la honte d'être dans le ghetto SF,
l'angoisse des charges de famille, le caractère fort d'Anne.. Ce sont
disputes et querelles mesquines. L'avortement décidé par Anne contre l'avis
de Phil à l'automne 1960 lorsqu'elle se retrouve enceinte n'améliore pas les
choses.
Le Yi-King
Dick rencontre alors le Yi-King,
qu'il consulte dès lors (été 1961) au moins une fois par jour. Avec son
aide, il écrit, dans une masure à l'écart louée au shérif, Le maître du
Haut-Château. Il y écrit aussi Glissement de temps sur Mars, dont le mauvais accueil le désole.
Mais Le maître du Haut-Château
reçoit le prix Hugo. Et son agent lui renvoie tous ses manuscrits de
littérature générale, qu'il n'a pas réussi à placer. Ceci marque la fin des
tentatives non-SF de Phil.
Bien que fous amoureux, Anne et lui
continuent de se déchirer. Il a peur d'elle. Il supporte très mal que la
petite entreprise artisanale de bijoux montée par sa femme arrive à
rapporter autant que ses 10 ans de carrière d'écrivain. Il craint même
qu'elle ne veuille le tuer. Il faut dire qu'il prend de plus en plus
d'amphétamines pour tenir son rythme d'écriture (11 romans en 2 ans). A la
fin de l'été 1963, il parvient à convaincre le psy qu'Anne est
maniaco-dépressive : elle est internée 3 jours et reste 15 jours en
observation. Dick n'en parlera jamais. Mais tous ses personnages féminins de
cette époque sont inspirés d'Anne, comme Emily Hnatt dans Le dieu venu du
Centaure, Mary Rittersdorf dans Les clans de la lune
alphane ou encore Kathy Sweetscent dans En attendant
l'année dernière.
Le visage du Mal
C'est alors qu'en se rendant à sa masure, Dick
a une vision qui dure plusieurs jours : le visage du mal absolu occupant un
quart du ciel. Ce visage deviendra celui de Palmer Eldritch. Et cette
« vision » (Dick a écrit « je ne l'ai pas vraiment vu,
mais il était là, et il n'était pas humain »), associée aux difficultés
du couple, le pousse à chercher l'aide auprès de la religion : Anne et
lui suivent des cours de catéchisme et se font baptiser. Il découvre ainsi
le gnosticisme, que l'on retrouve dans Le Dieu venu du
Centaure.
Ce roman lui permet de trouver un éditeur
plus réputé qu'Ace : Doubleday. Mais cette satisfaction ne peut rien
contre le délabrement du couple : Dick demande le divorce en mars 1964,
et retourne sur Berkeley puis Oakland, où il rencontre des collègues, vit 6
mois avec Grania Davidson (fan et futur auteur de SF).
Quatrième mariage (1965-1970)
Sentimentalement seul, il est attiré par
Nancy, la belle-fille de Maren Hackett, une amie récente. Nancy emménage en
mars 1965 chez Phil. C'est une jeune fille perturbée, à l'enfance chaotique
et malheureuse, timide et réservée, et angoissée (« Je me souviens de
m'être moi-même prise en photo pour pouvoir me prouver que j'existais »
[Sutin, p. 237]). Elle et Phil s'appuient
l'un sur l'autre. Ils sont heureux, sortent rarement : Phil se remet à
fuir le monde. Il conçoit ses romans mentalement, souvent sans prendre de
notes, en écoutant très fort de la musique classique, prisant du tabac, ses
chats sur les genoux.
Le couple déménage à San Rafael. Une rencontre
importante est celle de James A. Pike, évêque épiscopalien de Californie,
marié mais amant de Maren Hackett. Ils deviennent très amis, Phil et lui
adorent se lancer dans des spéculations théologiques. Timothy Archer,
l'évêque du futur roman La transmigration de
Timothy Archer, est très largement inspiré de Pike et de sa vie.
Dans ce renouveau, Dick retrouve l'inspiration
et écrit Ubik. Lorsque Nancy est enceinte, il
l'épouse. Isolde Freya (Isa) naît le 15 mars 1967.
Phil achète une armoire-classeur blindée de
350 kg pour y ranger ses trésors (collections de magazines SF, timbres,
courrier, disques rares...).
La côte ouest des Etats-Unis, dans ce milieu
des sixties, est très branchée dope. Phil a essayé le LSD, mais son truc à
lui, ce sont toujours les médicaments, antispasmodiques, tranquillisants,
amphétamines. Il prétend absorber un millier de pilules par semaine.
La drogue, les difficultés d'être parent
(entre autres, Phil a du mal à partager Nancy avec sa fille), sont déjà une
épreuve pour le couple. Mais tout d'un coup, tout s'accélère : les deux
chats meurent, Maren Hackett se suicide, ce sera bientôt le tour d'Anthony
Boucher (celui qui a lancé Dick dans la littérature) et de l'évêque Pike de
quitter ce monde. Autres sources de malheur : des démêlés avec le fisc
(entre autres suite à un engagement contre la guerre du Vietnam via le refus
public de payer certains impôts), des difficultés financières, des
infidélités conjugales... Phil est au creux de la vague, à l'été 1970 il
doit même faire une demande d'aide sociale. C'est l'époque du si particulier
Coulez mes
larmes, dit le policier, qu'il réécrit plusieurs fois, juste avant que
Nancy parte avec Isa en septembre 1970.
Le fond (1970-1972)
Revoilà notre auteur seul. Il ne le supporte
pas et ouvre sa maison à tous : amis ou inconnus, fugueurs, drogués,
motards, hippies... Il est généreux avec eux, leur offrant musique, argent,
dope. Mais il n'aime guère sortir. Dick et les autres occupants de la maison
restent parfois plusieurs jours sans dormir. Phil tombe sans arrêt
sincèrement amoureux, surtout de filles deux fois plus jeunes que lui. Mais
son ardeur et son besoin d'amour leur font peur.
C'est de cette période que viendra, plus tard,
la matière de Substance
mort. Phil y a romancé nombre de personnages ou d'anecdotes de cette
époque. Comme par exemple celle qu'il appela dans le roman
« Donna ». Dick était fou de cette brune, bien qu'ils ne furent
jamais amants.
Une autre jeune fille qui fréquentait la
maison à l'époque le décrit ainsi : « Phil était trois ou
quatre personnes à la fois. Il y avait le Phil instruit qui pouvait discuter
histoire ou philosophie, et le Phil parano qui avalait des tas de comprimés
et délirait sur la CIA. Ensuite, le Phil qui voulait me serrer dans ses bras
et m'épouser, et qui pleurait quand je refusais. » [Sutin, p. 287]
Plusieurs séjours en psychiatrie, dont
certains à sa propre demande. Les médecins ne trouvent aucun symptôme de
manque : pour un drogué, il est en bonne forme physique. Les
psychiatres le trouvent soit schizophrénique, soit paranoïaque... ou
simulateur.
Il est persuadé que quelqu'un va s'en prendre
à sa maison... et le 17 novembre 1971, « j'ai trouvé les fenêtres
fracassées, les portes fracturées, les serrures forcées, et j'ai constaté la
disparition de plusieurs de mes affaires ; on avait fait sauter mon
armoire-classeur à l'épreuve du feu, manifestement au moyen d'explosifs du
type plastic [...] tous mes papiers administratifs, tous mes documents
bancaires, toutes mes lettres et autres papiers personnels s'étaient
envolés. » (Dick dans son journal [Sutin, p. 290])
Phil ne cessera, jusqu'à la fin de sa vie,
d'échafauder des hypothèses pour expliquer ce cambriolage (l'enquête de
police ne semble avoir abouti nulle part) qui l'effraya tant.
Pour échapper à ses angoisses, il accepte
d'être l'invité d'honneur à la convention SF de Vancouver. Il tente d'y
aller avec « Donna », mais au dernier moment, celle-ci lui fait faux
bond. Il part donc seul.
Vancouver
Il arrive à Vancouver le 12 février 1972, y
est fêté dignement, et son allocution, L'homme et
l'androïde, y est très bien accueillie. Il parle alors de
s'installer à Vancouver, surtout qu'il tombe amoureux. Mais elle aussi prend
peur et fuit. Après la convention, il se fait héberger, flirte avec toutes
les femmes qu'il rencontre.
Il sombre : trou de mémoire de deux
semaines, et tentative de suicide (au tranquillisant). Il se retrouve à
X-Kalay, un centre de désintoxication. Là, il est pris totalement en charge,
et prend conscience que les amphétamines le mènent à la tombe : il n'en
prendra plus qu'occasionnellement. Après trois semaines dans le centre, il
prend l'avion pour Fullerton (non loin de Los Angeles), où deux étudiantes
proposent de l'héberger.
Laborieuse remontée (1972-1974)
Il fait la connaissance de plusieurs
personnes, dont certaines (comme le futur auteur de SF Tim Powers) avec
lesquelles il restera ami jusqu'à sa mort. Mais il est toujours angoissé, en
état de carence affective, littérairement stérile, fauché et physiquement
vieillissant. Mi-juillet, il rencontre
Tessa Busby. Elle a dix-huit ans, timide, intelligente, une enfance
difficile. Ils se plaisent, et emménagent ensemble. Enfin un foyer ! Il
se remet à écrire. Bien sûr, il est impatient, a des horaires impossibles, a
quelques accès de violence, mais il semble sorti du trou. La reconnaissance
pointe son nez, on vient de France (Michel Demuth, Patrice Duvic) pour le
rencontrer ou l'interviewer, il passe à la radio, est cité de façon
élogieuse dans des essais sur la SF.
Il achève Coulez mes larmes, dit
le policier, écrit sa première nouvelle depuis 1969 (Pitié pour les tempnautes), et
s'attaque à Substance mort. Sa
santé commence à défaillir (double pneumonie fin 1972, dont il faillit
mourir, hypertension). Heureusement Tessa est enceinte (ils se marient en
avril 1973), et donne naissance à Christopher le 25 juillet. Phil est alors
un papa modèle, heureux. Ce qui ne l'empêche pas de faire plusieurs épisodes
dépressifs.
United Artists prend alors une option sur Les androïdes rêvent-ils de moutons
électriques ? et la reconduira plusieurs années : cela
débouchera sur le film Blade
Runner. Coulez mes larmes, dit
le policier paraît en février 1974, est nommé pour le Nebula et le
Hugo, reçoit le prix John W.Campbell. D'autres titres sont
réédités. Décidément, cela va mieux : un foyer, une reconnaissance et
sa conséquence sur le plan financier...
L'Expérience (1974-1976)
Dick va alors commencer un journal
essentiellement manuscrit, l'Exégèse, qu'il continuera jusqu'à sa
mort. Ces huit mille feuillets sont consacrées exclusivement à la résolution
de l'énigme « février-mars 1974 » (cf. également Siva et Radio Libre Albemuth).
Pour diverses raisons, Dick est à ce moment là
mort de peur. Après avoir subi l'extraction d'une dent de sagesse, la
pharmacie lui fait livrer un antalgique. La livreuse, une fille aux cheveux
très très noirs, porte un pendentif qui représente un poisson d'or. Elle lui
explique que c'était un signe de reconnaissance utilisé par les premiers
chrétiens. Voir ce poisson déclenche chez Dick une série de visions. Il
parle d'anamnèse (absence d'amnésie) car il se souvient de son passé de
chrétien dans la Rome du Io siècle après JC. Il fait brûler des
chandelles votives devant un petit autel dans sa chambre à coucher.
Il voit des lumières tourbillonnantes, des
défilements de tableaux abstraits. Il sent « quelque
chose » s'emparer (temporairement) de sa personnalité. Il ressent
le besoin de prouver sa loyauté civique et écrit plusieurs fois au FBI. Ses
animaux familiers lui semblent plus intelligents. La radio marche alors
qu'elle est débranchée, pour lui débiter des obscénités. Tessa confirme que
la radio marchait bien que débranchée, mais qu'elle-même n'entendait qu'une
musique d'ambiance.
Un jour, un rayon de lumière rose le
frappe. Dick le nomme en général VALIS « Vaste Active Living
Intelligence System » (mal traduit en français par SIVA
« Système Intelligent Vivant et Agissant »). VALIS lui
inspire des rêves, lui communique des informations d'ordre spirituel
(comment administrer l'eucharistie, par exemple) ou autres, souvent de forme
fragmentaire (quelques mots).
Il sait néanmoins que ses
« révélations » peuvent paraître démentes et il est
capable d'en rire lui-même. Mais il ne rejette pas le problème, le prend au
sérieux, se livre à l'autocritique.
A la fin de l'été, le rayon rose le frappe à
nouveau et lui apprend que son fils Christopher est atteint d'une
malformation congénitale invisible qui peut être fatale. Ce diagnostic étant
confirmé par le médecin de famille, Chris est opéré en octobre.
Notons que tout ceci peut s'expliquer par une
maladie nommée « épilepsie du lobe temporal »,
susceptible d'induire des accidents cérébraux mineurs et non
détectables. Mais il faut aussi dire que cette maladie implique d'autres
caractéristiques que Dick ne présentait pas...
Financièrement, Dick entrevoit le bout du
tunnel, grâce essentiellement à ses ventes en Europe. Ils déménagent, se
payent quelques folies.
Il finit Deus
Irae en collaboration avec Roger Zelazny, a le bonheur de voir enfin un
de ses romans de littérature générale publié : Confessions d'un barjo, met la
dernière main à Substance mort. Il
dévore des livres sur la philosophie, le gnosticisme, le zoroastrisme, le
bouddhisme, la neurologie afin de tenter de trouver une explication ou une
réponses à ses visions.
Côté familial, il ne supporte pas que
Tessa s'absente, elle doit être à son entière disposition. Ils se
disputent. Mais Phil est également très attiré par Doris Sauter, une jeune
femme rencontrée en 1972. Elle s'est depuis converti à la foi chrétienne, et
Dick lui a raconté ses visions. Mais en 1975, on découvre chez Doris un
cancer, qui évolue vite et la rend très malade. Dick veut vivre avec elle,
la soigner, elle refuse. Il lui demande même de l'épouser en janvier
1976. Elle refuse encore, à cause de Tessa. Cette dernière, après une
dernière querelle, quitte la maison avec Christopher.
Il fait alors une tentative de suicide
(racontée dans le chapitre 4 de Siva), passe 15 jours en observation à
l'hôpital, en sortant, passe le mois de mai avec Tessa. Mais il veut
toujours vivre avec Doris, déménage pour Santa Ana, sa dernière adresse. Il
a enfin de l'argent : sa cote montant, les contrats (rachats de droits)
et avances sont plus avantageux.
La sérénité ? (1976-1980)
Phil & Doris (dont le cancer est en
rémission) sont heureux dans cet appartement. Il
écrit« dix-huit ou vingt heures par jour, en observant
l'emploi du temps suivant : lever à dix heures, écriture toute la
journée, un petit apéritif vers cinq heures, et de nouveau le travail
jusqu'à cinq ou six heures du matin. Un ou deux jours pour une nouvelle, dix
à quinze pour un roman. Concentration intense : il ne lui fallait aucun
bruit en dehors de la musique qu'il mettait. » [Sutin, p. 382]. Mais en dehors de l'écriture,
comme d'habitude, il requiert de sa compagne une attention et une
disponibilité totale. Doris supporte mal d'être dépouillée de toute vie
personnelle. En septembre, elle déménage dans l'appartement voisin. Phil
déprime encore une fois, et se fait interner volontairement. Mais Doris et
lui restent très liés. Lorsqu'elle rechute, il s'occupe d'elle avec
dévouement : il a toujours aimé jouer les Samaritains. Il voit aussi
régulièrement Tessa et Christopher, même après le divorce (février 1977). Il
peut ainsi supporter la solitude, avec l'aide de l'ami Tim Powers qui habite
à deux pas. Il y participe à des soirées hebdomadaires, avec d'autres amis
dont K.W. Jeter et James P. Blaylock (auteurs de SF).
Tout va bien, en fait ! Il ne lui manque
qu'une compagne. Ce sera Joan Simpson, 32 ans, assistante sociale, fan de
ses oeuvres. En avril 1977, il l'invite, elle reste une semaine. Puis il la
suit chez elle, à Sonoma. Ils s'entendent très bien, sans être « amants
au sens strict du terme » [Sutin,
p. 390]. Dick renoue avec Robert Silverberg. Il est en panne sur son roman,
mais accepte l'invitation du 2o Festival de Metz de SF. Joan et
lui s'y rendent, Phil est enchanté d'être considéré comme le plus grand
auteur de SF du monde. Mais son allocution Si vous trouvez ce monde
mauvais, vous devriez en voir quelques autres (publié dans les recueils
Le père truqué et Si ce monde vous déplait...), avec ses
spéculations théologiques, est mal perçu.
A leur retour, Dick n'a plus envie de
s'installer en Californie du Nord, Joan refuse de déménager à Santa Ana. Ils
rompent donc. Mais cette fois, Phil ne déprime pas : ses amis et son
Exégèse l'aident à tenir le coup. Et puis il se permet des coups de
tête : une bonne chaîne hi-fi, une voiture neuve : il gagne de
plus en plus d'argent (plus de 90 000 dollars de revenus en 1978). Il donne
à diverses oeuvres, mais ne change pas vraiment de train de vie.
Dorothy décède en août 1978. Le chagrin qu'il
éprouve masque temporairement sa haine filiale.
Mais il a toujours un roman en
panne. Heureusement, Russell Galen devient son agent. Admirateur de Dick, il
redynamise sa carrière en faisant en sorte que ses titres soient disponibles
en permanence, et décoince Dick qui livre enfin Siva fin 1978. Les éditions Bantam, qui
avaient pré-acheté ce livre, hésitent très longtemps avant de le
publier ! Le roman laisse d'ailleurs perplexes les fidèles.
La célébrité... et la fin (1980-1982)
Phil, lui, souffle un peu, il ne peut plus
enchaîner un roman au suivant comme dans sa jeunesse. Il engrange les
dollars et la reconnaissance (des groupes punks se nomment d'après ses
oeuvres, ses nouvelles se placent dans des magazines de premier plan). Il
peut enfin renouer avec ses filles Laura et Isa, qui viennent lui rendre
visite, même s'il n'avait jamais vraiment perdu le contact. Son aisance
matérielle lui permet d'aider financièrement Tessa et Christopher, mais il a
plus de mal à aider ses deux filles. Il peut même acheter l'appartement dans
lequel il vit, lorsqu'il est mis en vente avec les autres appartements de
l'immeuble. Malheureusement, cette vente force Doris à déménager, ce qui le
chagrine (cf. la nouvelle Chaînes d'air, réseaux
d'éther , que lui a inspiré leurs relations de voisinage).
Il termine en mars 1980 L'invasion Divine, qu'il ne considère pas comme une véritable suite à Siva. Il continue bien sûr chaque nuit son Exégèse, et à fréquenter les soirées hebdomadaires de Tim Powers. Il est de plus en plus visité par les journalistes. Et il s'inquiète de ne plus entendre de voix depuis quelque temps. Mais cela change le 17 novembre 1980, jour où il dactylographie 5 feuillets pour son Exégèse, relatant que « Dieu s'est manifesté à [lui] sous forme de vide infini... » [Sutin, p. 423]. Quelques jours après cette rencontre, il met un terme à son Exégèse... mais s'y replonge 10 jours plus tard !
Le projet de film à partir de Les androïdes rêvent-ils de moutons
électriques ? aboutit enfin début 1981. Dick déclare d'abord
que le scénario lui déplaît, puis le porte aux nues. Entre temps, il se
brouille (temporairement) avec Ursula Le Guin. Puis se bat avec les
producteurs d'Hollywood au sujet de la
« novélisation »du film (son agent et lui
parviennent finalement à l'éviter, ce qui aurait condamné le roman
initial). Un éditeur new-yorkais de littérature générale est prêt à lui
acheter des livres.
En avril-mai 1981, il commence La transmigration de
Timothy Archer . Mais il commence à sentir la mort rôder... Il
songe à elle, est victime d'un accident d'automobile qu'il prétend avoir
délibérément provoqué, et dont il garde une lésion à la jambe. Il est
impatient d'assister à la première de Blade Runner, mais
« aspir[e] douloureusement à la rédemption » [Sutin, p. 442]. Il a une dernière liaison,
brève, avec une femme mariée. Il s'aperçoit qu'il ne cherche plus l'amour,
se rapproche de Tessa. Assiste à une projection privée de Blade Runner.
Le 18 février 1982, il ne se rend pas à un
rendez-vous. Ses voisins le trouvent inconscient. A l'hôpital, on
diagnostique un accident vasculaire cérébral. Il aurait pu en guérir avec le
temps, mais d'autres accidents identiques surviennent, et une défaillance
cardiaque fatale l'emporte le 2 mars 1982.
Il est enterré
à Fort Morgan, aux côtés de sa soeur Jane.