J'attrapai le prospectus et, pour la première fois, le retournai ; une voix retentit alors dans ma tête. Une transformation de mes propres processus mentaux en vue de me faire passer un message.
« Les autorités. »
Juste ces deux mots — les autorités — alors que je tenais la feuille. Celle-ci ne provenait pas d'un agent du K.G.B. opérant depuis New York, contrairement à ce qu'il m'avait semblé. Il ne s'agissait pas d'instructions émanant du Pari. C'était un faux. Le truc fonctionnait sur trois niveaux ; en surface, aux yeux de Rachet, c'était une pub ordinaire. Pour une raison quelconque, inexpliquée, je m'étais montré capable d'extraire l'information encodée au milieu des données dépourvues de sens. Peu importe pourquoi, me dis-je ; tout ce qui compte, c'est que je l'ai fait, que j'en ai été capable, sans problème. Au troisième niveau, le plus profond, c'était une contrefaçon, un coup monté de la police. Et j'étais assis là avec ça, dans le salon de mon propre appartement : superbe preuve de ma qualité de traître en exercice. Assez pour m'envoyer en taule pour le restant de mes jours et pour nous bousiller, moi et ma famille.
Il faut que je m'en débarasse, réalisai-je. Il faut que je brûle ça. Mais à quoi bon ? Il en arrivera d'autres du même genre au courrier. Jusqu'à ce qu'ils me chopent.
La voix dans ma tête parla de nouveau. Je la reconnaissais, maintenant. La voix de la sibylle, telle que je l'avais entendue dans mes rêves visionnaires.
« Appelle les APA à L.A. Je parlerai pour toi. »
Une fois muni de l'annuaire, je cherchai le numéro des urgences du grand quartier général des APA pour la Californie du Sud, situé à Los Angeles.
« Qu'est-ce que tu fais ? demanda Rachel avec appréhension en me suivant. Tu vas appeler... les APA ? Mais pourquoi ? Bon sang, Nick, c'est du suicide ! Brûle le papier ! »
Je composai le numéro.
« Amis du peuple américain. »
À l'intérieur de mon esprit, la sibylle s'agita, et je perdis soudain tout contrôle de mon propre appareil vocal ; j'étais muet. Puis elle se mit à parler à ma place, en utilisant ma voix. Calmement, implacablement, elle s'adressa à l'agent des APA à l'autre bout du fil.
« Je désire rapporter », dit ma voix, d'une manière mesurée qui ne ressemblait pas du tout à mes propres cadences, « que je suis l'objet de menaces du parti communiste. Pendant des mois, ils ont tenté d'obtenir ma coopération sur une question professionnelle et j'ai refusé. Ils cherchent maintenant à parvenir à leurs finq en recourant à la coercition, à la force et à l'intimidation. Aujourd'hui, j'ai reçu au courrier un message codé venant d'eux, et me disant ce que je devais faire pour eux. Je ne le ferai pas, même s'ils me tuent. Je voudrais vous faire parvenir ce message codé. »
Après une pause, l'agent des APA à l'autre bout du fil dit : « Juste un instant, s'il vous plaît. » Quelques cliquetis, puis le silence.
[chapitre 15, pp. 126-127]