— Parfait, trouve-moi ce Glaub et dis-lui de me dégoter un schizophrène précog le plus vite possible. Tu peux engager Glaub, mais seulement si tu es obligé de le faire ; vu leurs salaires de misère, la plupart des psychiatres ont envie de toucher une paie régulière. Compris, Eddy ?
— Très bien, Arnie.
L'intendant raccrocha.
— Tu as déjà été psychanalysé, Hélio ? demanda Arnie, qui se sentait maintenant d'humeur joyeuse.
— Non, Monsieur. Toute la psychanalyse n'est qu'une prétentieuse imbécillité.
— Comment ça, Hélio ?
— Le problème dont ils s'occupent toujours est de trouver comment refondre une personne malade. Mails il n'y a pas de comment, Monsieur.
— Je ne comprends pas, Hélio.
— Le but de la vie est inconnu, c'est pourquoi la vraie façon d'être n'est pas accessible aux créatures vivantes. Qui peut dire si les schizophrènes n'ont pas raison ? Monsieur, ils accomplissent un courageux voyage. Ils se détournent des choses simples, que l'on peut tenir et utiliser ; ils se tournent à l'intérieur, vers la signification. Qui sait s'ils pourront en revenir ? Et s'ils y parviennent, qui peut dire comment ils seront alors, après avoir perçu la signification ? Je les admire pour leur courage.
— Mooon Dieu ! dit Arnie d'un ton ironique. Espèce de monstre à demi éduqué... Je parie que si la civilisation humaine disparaissait de Mars, tu ne mettrais pas dix secondes avant de retourner parmi les autres sauvages, pour adorer des idoles et tout le reste. Pourquoi prétends-tu vouloir nous ressembler ? Pourquoi lis-tu ce manuel ?
— La civilisation humaine ne quittera jamais Mars, Monsieur, répondit Héliogabale ; c'est pourquoi j'étudie ce livre.
— Laisse tomber ce bouquin, ordonna Arnie, tu ferais bien d'accorder ce foutu clavecin si tu ne veux pas te retrouver dans le désert, que la civilisation humaine puisse ou non rester sur Mars.
— Oui, Monsieur, répondit le Bleek domestique.
[chapitre 6, p. 110 de l'édition Pocket, p. 319 de l'édition Omnibus]