[Réflexions de Nat à propos de Fay:]
C'était l'aspect délibéré de son attitude qui le tracassait. Elle l'avait vu, elle avait jeté sur lui son dévolu, et elle avait entrepris de lui mettre le grappin dessus bien qu'il fût marié avec une existence déjà toute tracée devant lui. Peu lui importait qu'il ait eu l'intention d'obtenir son diplôme, tout en gagnant modestement sa vie et celle de sa femme comme il le faisait en ce moment. Elle le considérait seulement comme un point d'appui dans sa propre existence. Ou du moins c'était ce qu'il soupçonnait. Il n'arrivait pas à la cataloguer ; elle semblait sincèrement éprise de lui, peut-être même contre sa volonté. Après tout, elle prenait un risque terrible, mettait en péril sa maison, son foyer, sa vie tout entière en se ménageant des rendez-vous avec lui.
Tout compte fait, pensa-t-il, je ne la comprends pas vraiment. Je n'ai aucun moyen de savoir si tout est calculé dans sa conduite, si elle est consicente des conséquences de ses actes. En surface, elle semble impatiente, puérile, vise des objectifs immédiats, sans se soucier de l'avenir. Elle poursuit une politique à courte vue. De son propre aveu, elle nous a vus, Gwen et moi, et a voulu faire notre connaissance ; il n'y a jamais eu aucun doute à ce sujet. Elle reconnaît elle-même qu'elle est égoïste, habituée à n'en faire qu'à sa tête, que si on lui refuse quelque chose, elle se met en rage. Avoir une liaison avec moi — alors qu'elle est un des piliers de la communauté, possède une propriété d'une telle importance ici même, connaît tout le monde, a deux enfants qui vont à l'école — prouve qu'elle ne voit pas plus loin que le bout de son nez. Est-ce là la conduite d'une femme envisageant les conséquences à long terme de ses actes ?
Et pourtant, se dit-il, je me considère comme un adulte responsable, et je m'embarque dans une histoire avec elle. J'ai une femme, une famille, une carrière à mener à bien, et cependant je compromets tout cela dans cette histoire ; je sacrifie l'avenir — éventuellement — pour le présent.
Pouvons-nous connaître nos propres motivations ?
[début du chapitre 11, p. 158 de l'édition 10/18]