L'introduction : le style de Dick apparait ici clairement: une phrase simple, descriptive et informative, qui situe immédiatement une unité de lieu et de temps, ainsi que le principal protagoniste.
L'auteur utilise ici son vocabulaire classique, définissant les principaux traits de la société : bureau, conseillers, supérieur, formulaire, qui renvoient à des notions de rigidité et de hiérarchie.
Le contexte : nous sommes ici en guerre contre les « Choses », donc un climat difficile de tension, probablement contre des extraterrestres. Cependant, il n'y a ici qu'une toute petite allusion à ce problème, qui est ici annexe.
À plusieurs reprises, Slade ressent un désir d'évasion et de liberté, une volonté de changer d'existence. Cette notion est en fait très importante, et on peut se demander ce qu'elle recouvre ici : s'agit-il du désir d'échapper au monde dans lequel vit le personnage, ou du désir d'échapper à lui-même ?
Thématique :
Dick aborde ensuite le problème de la créativité. Manville dit à
Slade: « Vous n'êtes pas créatif, vous êtes totalement passif
[...] Rien ne vous rendra créatif parce que vous n'avez
pas cela en vous ».
Cela soulève plusieurs questions : l'auteur
sous-entend-il ici que les non-créateurs sont les passifs de la
société ?
Entend-il nous montrer que les « artistes », au sens large du terme,
c'est-à-dire ceux qui créent, sont les seuls actifs, les seuls aptes à
faire avancer la société ? De même, l'auteur semble dire que la
capacité de création n'est pas quelque chose qui s'acquiert, mais bien un
« don » que l'on possède ou pas en soi. Cependant, immédiatement après,
Manville déclare qu'il n'est pas un analyste jungien qui croit que l'art est
la solution, et Dick prend donc ici le contrepied de l'idée qu'il vient
d'exposer.
Style :
Les éléments technologiques
futuristes sont évoqués trés rapidement, ce qui est relativement
classique chez Dick : on parle par exemple ici de brochure 3D
polychrome.
Bien que ceci soit tout à fait secondaire, il me
semble intéressant de noter la manière dont l'auteur les aborde : il ne
s'étend jamais longuement sur de tels éléments, et se contente d'y
faire des allusions. Ceci lui permet bien de se situer dans une société
futuriste, tout en nous montrant que ces élements technologiques
sont en eux-mêmes annexes, et ne sont que le vecteur de situations
relationnelles nouvelles.
Remarque : On peut noter aussi divers éléments montrant la culture de Dick : il parle ici en vrac de « Grandeur et décadence de l'Empire Romain » de Gibbon, historien anglais du 18ème siècle (voir Antiquité), de Mozart, de la Neuvième de Beethoven (voir musique), ou encore bien sûr de ce qu'il appelle « L'age d'or de la S.-F. », dans les années 1937/70. Nous avons bien affaire là à un auteur cultivé et qui s'intéresse à de très nombreuses choses. Cependant, il me semble que l'auteur ne fait jamais de déballage gratuit de connaissances destiné à en mettre plein la vue, mais au contraire, fait passer à travers ses écrits ce qu'il aime ou n'aime pas et ses appréciations sur les créations des autres.
Style : L'évolution de l'histoire se fait ensuite par une narration rapide, sans fioriture, trés efficace, dans une manière sobre et précise, teintée d'une délicieuse pointe de cynisme.
Thématique : Slade choisit donc d'aller dans le passé inspirer Jack Dowland, qui n'est autre que le pseudonyme sous lequel Dick a publié la nouvelle.
On trouve là un jeu sur la réalité tout à fait typique de la pensée de l'auteur, dont on reparlera un peu plus loin.
On trouve ensuite un paragraphe dans lequel l'opérateur du vaisseau temporel met en garde Slade contre la
tentation de changer le passé de manière imprévue, en dehors de
l'intervention pour inspirer Dowland.
En fait, Dick nous parle ici du danger inhérent à la
situation : l'opérateur nous dit que trop de gens sont pris d'une
illusion de pouvoir et veulent changer toute sorte d'éléments négatifs
de l'Histoire (guerre, famine, etc...). On reviendra également un
peu plus loin sur cette idée.
Style :
Notons au passage qu'en lui-même, le voyage
vers le passé est très rapidement décrit : on apprend à peine qu'il
y a une table de contrôle dans le vaisseau, un interrupteur, et voilà Slade
parti vers 1956.
À mon sens, cette économie de moyens dans la description des
éléments purement technologiques est un des traits du génie de Dick, et non
pas une lacune de style : elle est au service d'une efficacité dans le
récit (ce qui est particulièrement notable dans les nouvelles), et permet
à l'auteur de concentrer son écriture sur ce qui est essentiel.
On a d'ailleurs là un magnifique exemple de la manière dont Dick distille discrètement des rappels à ce qui lui tient vraiment à coeur dans la nouvelle : il nous précise que Slade, en partant vers le passé, s'éloigne de son quotidien (« part en vacances »), et bascule alors vers ce qui le rapproche le plus d'un « acte créatif » de toute sa vie.
Thématique : Ceci prouve qu'un des messages que l'auteur nous envoit ici est que la création est un des véritables sens de sa vie. D'un point de vue personnel, je partage tout à fait cette idée : la création artistique est un des plus beaux espaces de liberté de l'être humain.
Remarque : on peut noter un petit clin d'oeil aux historiens et à l'interprétation de l'Histoire : en 2040, on croit que l'aspirateur à disparu depuis les années 1950 (or Slade en découvre un lorsqu'il arrive chez Dowland en 1956).
En somme, Dick nous pose ici la question : connaissons-nous suffisamment bien notre passé ?
Thématique : Dick
utilise sa logique personnelle pour une scène déroutante mais géniale :
cela ne se passe pas du tout comme Slade se l'imaginait (il est nerveux, ne
sait pas quoi dire), et il avoue clairement qu'il est sa muse, et qu'il est
là pour l'inspirer et lui donner l'idée d'écrire de la S.-F.
Dick nous décrit ainsi une situation exentrique et assumée comme telle
par le personnage. L'auteur fait alors vivre son personnage et c'est comme
s'il le laissait réagir de lui-même à l'évolution
de la situation: la colère et la frustation de Slade montent face
à l'incompréhension de Dowland.
Dowland explique alors pourquoi il n'a pas l'intention d'écrire de
S.-F. : le futur est trop noir (il va y avoir une guerre à
l'hydrogène), seuls les adolescents boutonneux lisent de la S.-F, qui en
définitive, n'est que de la merde. D'ailleurs, personne ne peut vivre en
écrivant de la S.-F.
C'est ici quelque chose de trés intéressant, qui apparait souvent abordé
dans l'oeuvre de Dick : il nous parle des préjugés à l'égard de ce
genre littéraire particulier qu'est la Science-Fiction : un genre pour
gamins abrutis écrit de façon minable par des losers. Le terme « inadaptés »
qu'emploie l'auteur est d'ailleurs révélateur.
D'une part, il nous montre l'existence d'une
pensée conservatrice encore très bien ancrée aujourd'hui (combien de
fois j'ai dû me battre pour expliquer que la S.-F était de la BONNE
littérature, et même un genre excellent pour peu qu'on cherche les bons
auteurs).
D'autre part, on peut voir ici un élément autobiographique : on
sait que Dick a souffert du manque de reconnaissance de la S.-F., et qu'il a
trés souvent eu des difficultés financières à vivre de ses écrits de
Science-Fiction.
Slade finit par craquer est avoue qu'il vient du
futur.
Là encore, Dick fait à mon sens preuve d'un
grand talent : cette action importante (il n'est pas du tout censé dire
cela à Dowland), est traitée extrêmement sobrement, en quelques lignes.
Dick prend alors son lecteur en défaut, en le laissant deviner la
réaction de Dowland : la seule chose qu'il nous dit est que Dowland
revient vers lui.
C'est ici à mon avis la marque d'un grand
écrivain : il aurait pu s'étendre et nous décrire de
diverses manières l'attitude d'un homme qui entend quelqu'un lui
dire sérieusement qu'il vient du futur. Ce qui, vous en conviendrez,
est pour le moins bizarre. Mais il se contente, après nous avoir
fermement ancré dans une situation bizarre, de nous laisser imaginer
la suite de la scène.
De retour à son époque, Slade se rend chez Manville : il y apprend très vite qu'il a échoué, et n'a pas réussi à inspirer Dowland, ce dont il se doutait. Pire, il l'a braqué contre la S.-F., et toute sa biographie à disparu : il n'existe plus qu'une seule oeuvre de Dowland, insignifiante, médiocre, et totalement inconnue : L'Orphée aux pieds d'argile...publiée sous le pseudonyme de Philip K.Dick.
Il s'agit donc précisément du titre de la nouvelle, qui rappellons-le, a effectivement été publiée par l'auteur sous le nom de Jack Dowland. On touche là un des aspects géniaux de la création de Dick : la boucle temporelle est bouclée. Car Manville raconte alors à Slade le contenu de cette nouvelle en une phrase : « C'est le récit d'une visite faite à Dowland par un idiot bien intentionné venu du futur avec l'idée de lui inspirer la rédaction d'une histoire mythologique du monde à venir ». Il s'agit bien évidement de l'histoire que Dick est en train de nous narrer.
Dès lors, par l'acte même d'écrire cette nouvelle, Dick nous suggère qu'il a vu débarquer chez lui un type lui racontant qu'il venait du futur pour l'inspirer, et que le voyage dans le temps est donc possible.
Mais alors, qu'est-ce qui est réel ? Est-ce Philip K.Dick, qui écrit sous le pseudonyme de Jack Dowland, ou est-ce Jack Dowland, obscur écrivain dont subsitera dans l'avenir une seule nouvelle, celle que vous tenez entre vos mains lorsque vous la lisez, et qui vous semble alors bien réelle ?
C'est ici bien sûr ce qu'on appelle un des grands thèmes de Dick: « qu'est-ce qui est réel ? », et « suis-je réel moi-même ? » (voir réalité).
Comme à son habitude, Dick semble ne pas se contenter de ce qu'il a mis en place, et va un peu plus loin.
On apprend ainsi que Slade à tout raconté à Dowland, et que celui-ci a tout mis dans sa nouvelle, y compris l'idée selon laquelle il faut utiliser la nullité de Slade pour en faire une « anti-muse », et l'envoyer « désinspirer » les grands démons du 20ème siècle, notament Hitler, Karl Marx et Staline.
Ceci constitue un retournement de situation, puisqu'on se rappelle que l'auteur nous avait mis en garde contre cette idée un peu plus tôt, au travers d'un court dialogue avec l'opérateur du vaisseau temporel.
Cette idée est cependant importante, et nous pose la question : si le voyage dans le temps était possible, connaissant l'Histoire, faudrait-il faire en sorte de la modifier pour éviter les horreurs qu'elle produit ? Si vous rencontriez Hitler en 1930, seriez-vous prêt à le tuer pour lui éviter d'écrire Mein Kampf et de procéder au génocide des juifs ? Mais, en poussant un peu plus loin, on peut alors se demander : si ceci devient possible, devra-t-on succomber à l'illusion de pouvoir changer la réalité de l'histoire ?
Remarque : pour Dick, les premières personnes à désinspirer sont Hitler, Marx et Staline. À mon sens, ce choix est tout à fait symbolique : Nazisme et Communisme ont bien été les grands fléaux politiques du 20ème siècle, et il faut se rappeller que Dick est passionné par les organisations politiques et sociales des mondes qu'il crée. En ce sens, voilà une preuve de plus que l'oeuvre de Dick fourmille de pistes de réflexion sur ce grand thème qu'est le devenir social et politique de l'humanité, et que Dick nous donne à penser le monde.
Enfin, la fin de l'histoire nous illustre la simplicité géniale de l'auteur : Manville ne cesse de dire que les idées ne sont pas de lui, qu'elles viennent de la lamentable nouvelle de Dowland intitulée « L'Orphée au pied d'argile ». Celle-ci se termine lorsque lui-même demande à Slade de payer les frais du voyage.
En fait, c'est ici l'histoire dans l'histoire, car les deux personnages sont en train à la fois de raconter et de vivre la fin du récit. Encore une fois : où est la réalité ? Dans ce que Dick écrit et nous donne à lire, ou dans ce que vivent Slade et Manville ?
On peut tenter ici de résumer ce qu'il faut retenir de cette nouvelle :
Libre à chacun de répondre en son for intérieur à ces questions.
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Dern. modif. 02 octobre 2002 à 15h45.
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