Le vocabulaire dickien

LES OBJETS FUTURISTES
LE TOTALITARISME
LE CARACTÈRE DES PERSONNAGES

    La question du vocabulaire employé par Dick me semble extrêmement intéressante, et peut être abordée sous différents angles. Le vocabulaire utilisé par un auteur est en effet un des révélateurs de son style littéraire, mais aussi de sa pensée et des messages qu'il tente de faire passer.

LES OBJETS FUTURISTES

    On peut d'abord s'arrêter sur le vocabulaire futuriste employé par Dick (voir aussi la rubrique Eléments futuristes du glossaire). L'auteur utilise assez souvent des termes décrivant des objets futuristes, et fait alors preuve d'invention, plus ou moins poussée : certains termes désignent des objets facilement identifiables, même s'ils sont imaginés par l'auteur (un floppeur est par exemple un véhicule aérien ultra-rapide dans le roman La vérité avant-dernière. D'autres sont totalement imaginaires et incompréhensibles en eux-mêmes (c'est le cas du Bévatron du roman L'Oeil dans le ciel)

VOCABULAIRE CARACTÉRISANT L'OPPRESSION ET LA HIÉRARCHIE

    C'est le deuxième aspect du vocabulaire spécifiquement dickien. On sait que les histoires de Dick prennent le plus souvent corps dans une société ultra-hiérarchisée, qui écrase en général les individus. Dick utilise alors tout un vocabulaire qui caractérise la hiérarchie et l'oppression : dans quel récit ne trouve-t-on pas des opérateurs, des controleurs, des comissions, des bureaux politiques ou décisionnels, des comissaires politiques, des agents, des services de controles divers et variés, des conseillers,des employés j'en passe et des meilleurs. On peut d'ailleurs noter que Dick aime utiliser des compressions de mots : les Compols de La vérité avant-dernière sont des comissaires politiques, les Cols de Brèche dans l'espace sont des gens de couleurs. Le plus souvent, Dick n'explique pas à son lecteur le sens précis du terme, mais le lui laisse deviner au fil des pages.

    Dans une première approche, cette technique littéraire est déroutante. Mais elle présente l'avantage de considérer ces éléments nouveaux comme faisant partie intégrante de la société. En exemple, si nous parlions à des gens du 18ème siècle de la télévision sans leur expliquer ce qu'elle est, mais en leur montrant l'influence qu'elle a sur notre vie quotidienne, ils pourraient non seulement en saisir le sens, mais encore comprendre à quelle point elle est intégrée dans notre société.

    Ce panel non exhaustif, directement sensible dans les récits, est un des principaux moyens qu'utilise Dick pour caractériser les mondes qu'il décrit : plutôt que de se lancer dans des descriptions interminables du fonctionnement de tel ou tel organe hiérarchique, il se contente de le citer. Ceci est bien sûr plus valable pour les nouvelles que pour les romans. En effet, les romans se prêtent beaucoup mieux à l'analyse de ces institutions totalitaires, et cet aspect constitue alors un des intérêts fondamentaux de l'histoire.

LE VOCABULAIRE DES PERSONNAGES

    Un troisième aspect concerne le vocabulaire employé par les personnages. En effet, la manière dont s'exprime un personnage est tout à fait fondamentale au regard de sa personnalité, de sa manière d'être et de penser.

    Comme tout auteur, Dick adapte le vocabulaire de ses personnages à leurs caractères, et s'en sert pour les définir. Mais d'une manière générale, on peut dire que ses héros se situent plutôt dans la classe populaire, et emploient un langage courant sans aucune pédanterie. Il n'est pas rare de trouver des « merde », voire des « putain » dans la bouche de tel ou tel personnage. Mais entendons-nous bien, ceux-ci ne sont jamais vulgaires. Dick se contente de leur permettre de s'exprimer comme lui pourrait le faire, et ceci les rends très libres et donc crédibles, en même temps que proches de nous.

    Mais Dick est aussi, à contrario, un lettré dans l'âme, amateur de joutes intellectuelles et verbales, il était un orateur hors pair, capable de subjuguer son auditoire par sa simple manière de parler et de développer ses idées. Ainsi, ce trait se retrouve dans son oeuvre, et certains personnages vont s'exprimer avec une très grande justesse des mots, une très grande élégance qui s'accompagne d'une grande force expressive (il n'est qu'à noter la manière dont s'exprime le Wub dans la nouvelle Aux confins de l'espace guette le Wub, ou encore, l'extraordinaire discours de David Lantano sur la liberté et sa privation dans le roman La vérité avant-dernière).

© Julien Mahoudeau