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Dans le no 352 de
FICTION, daté de juin 1984, Pierre-Paul DURASTANTI et Jean-Claude DUNYACH
publiait chacun une critique des Pantins cosmiques, qui
venait de paraître dans la collection Superlights aux éditions
Presses de la Cité. Voici ces deux critiques...
Ted Barton se fait une joie de revenir à Millgate, la bourgade de Virginie où il a passé son enfance jusqu'à l'âge de neuf ans. Sa femme, maussade et criarde, n'apprécie guère, la route est mauvaise, mais quelque chose le pousse à replonger dans son passé.
Et lorsqu'il arrive à Millgate, après en avoir reconnu les alentours avec une émotion grandissante, il s'aperçoit que la ville ne ressemble en rien à celle qu'il a connue, et que lui, Ted Burton, n'a pas quitté Millgate à l'âge de neuf ans mais y est mort de la scarlatine. Les rues, les magasins, les gens, tout est différent. Barton erre, essaie de comprendre, d'autant que les événements ahurissants se succèdent : des Errants passent, yeux fermés, insubstantiels, à travers les murs ; un étrange petit garçon, Peter Trilling, lui fait voir les deux dieux gigantesques qui dominent et observent la vallée, puis l'emmène jusqu'à la barrière, un simple camion renversé avec sa cargaison de bois sur la chaussée, qu'il est impossible de franchir ; un clochard, enfin, semble être le seul à se souvenir de l'ancien Millgate et du Changement qui survint un beau matin.
Aidé du clochard, Barton entreprend de restaurer l'ancien Millgate. Mais, ce faisant, il va s'opposer au jeune Trilling et à ses pouvoirs terrifiants : animer des golems d'argile, commander aux rats, aux araignées et aux serpents. Et quand les dieux vont se mêler de la partie, tout va vraiment devenir compliqué.
La traduction de ce roman ancien (1957) vient à point nommé. Elle permet de découvrir une nouvelle étape du cheminement des obsessions dickiennes. Écrit1 entre Loterie solaire et L'oeil dans le ciel, c'est le chaînon manquant entre un premier roman très vanvogtien et un troisième très dickien. De fait, Les pantins cosmiques obéit aux lois en vigueur dans le roman de SF d'aventures de l'époque : nerveux, rapide, une écriture marquée par le polar, sans guère de digressions, et des coups de théâtre à la fin de chaque chapitre en guise de progression dramatique !
Mais déjà, la fameuse
bistouille se glisse dans le texte : le style, très haché,
accumule les phrases sans verbe, parfois réduites à un seul mot. Quelques
scènes d'horreur pure (celles mettant en valeur les bébêtes de Peter
Trilling) rappellent que Dick était aussi un grand écrivain dans ce
genre. Témoin les nouvelles qu'il donna à Beyond, le Unknown
des années cinquante.
Tous les grands thèmes, oui, tous sont là : l'univers et la réalité truqués, la personnalité falsifiée, l'intervention ou l'abandon divins, le combat éternel entre un principe du Bien (Lumière, Mouvement) et un principe du Mal (Ténèbres, Immobilisme), les relations de couple déglinguées... Curieusement, dans ce roman, ces relations débouchent sur une glorification du principe féminin qu'on ne retrouvera pas dans l'oeuvre ultérieure : « Elle était l'essence même de la fécondité. La toute-puissance généreuse de la femme, de la vie. Il avait devant lui la force, l'énergie qui anime tout être vivant, qui sous-tend tout élan créateur. Un incroyable, un invraisemblable débordement de vitalité. Qui vibrait, pulsait, irradiait en vagues flamboyantes. » (p. 152)
Ce n'est pas qu'un document. C'est un excellent roman d'aventures, comparable, par exemple, aux Joueurs de Titan ou à Dédalusman (Masque Sf). À lire sans réserves, si ce n'est quant à la traduction qui a parfois tendance à trop arranger le texte et à lui retirer son aspect âpre, rugueux qui le faisait ressembler, en anglais, aux statues d'argile qui ouvrent, par une scène mémorable, le roman. Mais c'est n'est qu'un très mince reproche.
C'est du Dick. Aucun doute.
Pierre-Paul DURASTANTI
À quelques semaines d'intervalle ont donc surgi deux nouveaux Dick inédits en français. Si celui de Laffont2 (impeccablement traduit par Henry-Luc Planchat) mérite le détour malgré quelques longueurs, celui-ci est léger, léger. Par son poids, d'abord : 155 pages à peine, une novella délayée plutôt qu'un véritable roman (ce qui ne l'empêche pas d'être au même prix que les autres, évidemment). Léger surtout par son contenu. On savait déjà (voir par exemple la nouvelle Le roi des elfes dans le recueil L'homme doré chez J'Ai Lu) que Dick écrivait par moments comme un Clifford Simak un peu bourré. Les pantins cosmiques en est un exemple de plus.
J'imagine mal, d'ailleurs, comment qui que ce soit aurait pu se tirer d'un sujet pareil. L'action se passe dans un petit village perdu des Appalaches et nous assistons au retour du héros, dix-huit ans après. Surprise, tout a changé, les bâtiments, les rues, etc. Et le héros de s'exclamer : « Ce n'est pas Millgate ! Ce n'est pas la ville où j'ai grandi. »
On apprend à la fin que Millgate est devenu le champ de bataille d'Ormadz et Ahriman (deux dieux tirés de l'antiquité, que le show-business avait relativement négligés jusqu'ici). Grâce aux souvenirs du héros, qui restaure la réalité en effaçant le voile d'illusions jeté par Ahriman, tout rentre dans l'ordre. Au passage, il se sera battu contre des serpents-corail et des araignées à coups de manivelle (mais l'histoire n'en démarre pas pour autant).
D'accord, on distingue déjà tout le processus subtil de remise en doute de la réalité et toute cette sorte de choses sans lesquelles une critique dickienne ne saurait être complète ; néanmoins je plains les gens qui essaieront de lire les oeuvres de Dick en commençant par ce bouquin. En fait, je plains les gens qui essaieront de le lire de toute façon.
Jean-Claude DUNYACH
© (respectivement) Pierre-Paul DURASTANTI et Jean-Claude DUNYACH, republié avec leurs aimables autorisations.Le ParaDick | ... est hébergé par |
Dernière modification le 02 octobre 2002 à 15h33.
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