Le retour des explorateurs
Avis et analyse de Julien Mahoudeau


Note préliminaire :
     Mon cyberfrangin Julien Mahoudeau avait mis en place un site Web (appelé SIVA) consacré à l'analyse des nouvelles de Dick. De plus en plus pris par d'autres tâches qu'il considère (on se demande bien pourquoi ;-) ) plus prioritaires, il n'a pu développer le site comme il le souhaitait et m'a proposé de reprendre dans Le ParaDick le travail déjà effectué, ce que j'ai accepté avec une joie non dissimulée !
Aiguillage :
     La fiche de la nouvelle analysée.
     La liste des cinq nouvelles analysées par Julien.
     Le glossaire dickien établi par Julien (dans lequel renvoie la majorité des liens ci-dessous)

Appréciation personnelle

     Histoire parfaitement dickienne par le thème et l'écriture. Une nouvelle magnifique mais terrible.

Analyse

L'INTRODUCTION
ATTERRISSAGE
L'ARRIVÉE EN VILLE
REVELATION - La réalité truquée
LES VRAIES PROBLÉMATIQUES
L'EXPLORATION DU DOUTE
LA DERNIÈRE SCÈNE
CONCLUSION

PREMIÈRE SCÈNE

    L'histoire commence ici sur un dialogue de type populaire, qui nous apprend qu'un groupe de six hommes aperçoit enfin la Terre depuis leur vaisseau, après deux ans sur Mars.

    Très vite, l'essentiel est mis en place: les personnages, leur situation, de même que leur état d'esprit. En effet, ceux-ci semblent très contents de revoir leur planète natale, et parlent de Mars comme d'un « foutu désert rouge, avec soleil, mouches et ruines » . C'est dire que l'environnement martien n'est pas précisement adapté à l'homme.

    Ainsi, la conversation dérive vers le sentiment de bonheur que ressentent ces hommes en rentrant chez eux. Pour l'un, le plus important est de pouvoir enfin revoir des gens.

Thématique :
    Dick soulève là le problème de l'isolement prolongé lors du voyage spatial. Il faut remarquer que ceci est tout à fait intéressant : c'est précisément un des problèmes sur lequel se penchent nos scientifiques actuels pour préparer le voyage de l'homme sur Mars. L'aspect technique ne pose plus de problèmes majeurs en soi, mais il est difficile de savoir comment réagira psychologiquement l'être humain lors d'un voyage spatial de deux ans vers une autre planète. C'est encore une preuve que Dick nous parle d'aujourd'hui avec une très grande acuité.


L'ATTERRISSAGE

    Celui-ci se fait plutôt violemment, et les hommes se blessent. Le vaisseau se retouve dans un état désastreux, et tout est quasiment détruit.

Style :
    Dick poursuit l'évolution de son histoire par un savant mélange entre dialogue et description sobre. Ainsi, la joie des hommes d'être revenus « vivants », leur excitation, sont bien sensibles dans leur conversation. Mais elles le sont également dans la description de ce qui les entoure : une verte prairie, calme et paisible, une faible brise, et au loin, une petite ville, description où transparait le bonheur de retrouver des éléments connus. À ce stade, les 6 hommes sont fiers de leur statut d'explorateur, et sont persuadés d'être des héros.

    Mais la première faille typiquement dickienne va venir très vite : apercevant des enfants, ils se dirigent vers eux, mais ceux-ci s'enfuient en hurlant. C'est le début du « quelque chose ne va pas » qui est une spécificité thématique de PKD. D'ailleurs, l'un des personnages ne tarde pas à demander « mais qu'est-ce qui cloche ? ».

    Dans cette scène, où l'un d'eux parle aux enfants pour leur expliquer, on apprend qu'ils sont de retour après deux ans de mission d'exploration sur Mars, et qu'ils sont les pioniers (je me plais à penser que je connaitrai de mon vivant les pioniers de l'ère martienne).

    Devant l'attitude des enfants, c'est l'incompréhension chez les 6 hommes, mais aussi chez le lecteur. Quelque chose déconne, et ils s'en rendent compte, sans savoir quoi. Cyniquement, certains des personnages commencent à chercher des explications, et s'accrochent à des choses qu'ils peuvent comprendre : ils déclarent sans cesse que les enfants ont été effrayés par leurs barbes et leur aspect de clodos. Ils reprennent la route vers la ville, mais déjà l'ambiance est totalement différente : les 6 hommes sont désormais silencieux et mal à l'aise, leur joie s'est envolée.

Appréciation personnelle :
    Pour moi, dans ce genre de scène, Dick a le génie de nous imposer le doute, de rendre le doute réel dans notre esprit de lecteur. Sa manière d'écrire est très prenante, et, parce qu'ils sont très humains, il rend ses personnages très accessibles.


 
L'ARRIVÉE EN VILLE

    Le problème rencontré par les héros continue et s'aggrave : chaque être humain qu'ils croisent s'enfuit en hurlant et courant frénétiquement, sous le regard stupéfait des 6 hommes. Bientôt, ceux-ci se retrouvent tout seuls dans la grand-rue de la ville, maintenant déserte.

    Dès lors, la tension monte d'un cran. Les personnages ne sont plus seulement mal à l'aise, mais paniqués. Mais pourquoi les gens fuient-ils à leur approche ?
    Mais soudain, quelque chose vient vers eux.

    À partir de là, tout va aller très vite : deux voitures arrivent, et des hommes en cravate, à la voix cassante et glaciale, les entourent. Ils sont du FBI, et l'un dit s'appeller Scanlan. Le capitaine Stone est resté dans le café, mais Scanlan semble très bien savoir qu'ils sont 6. Lorsque Stone sort du café, Scanlan acquiesce « 6, très bien, c'est tout ». Puis ils sortent leurs armes et les mettent en joue

Apréciation personnelle :
    Pour le lecteur qui s'implique un peu, cette scène est terrible et déchirante : aprés deux putains d'années passées dans l'espace, leur retour est une mise à mort pure et simple, sans aucune explication. L'un des personnages s'effondre en pleurs en demandant « mais pourquoi ? ».
    À mon sens, Dick illustre ici un des aspects particuliers de la souffrance humaine: le plus terrible n'est pas de souffrir, mais de ne pas savoir pourquoi on souffre. Il en résulte une sorte de désespoir latent.


 
LA RÉVÉLATION - Le simulacre

    En désespoir de cause, l'un d'eux tente d'expliquer une dernière fois au FBI qu'ils sont les membres de l'expédition sur Mars partie il y a deux ans, et qu'ils sont de retour. Mais Scanlan prend la parole, froidement, et leur explique que le vaisseau s'est écrasé et a explosé lorsqu'il a atteint Mars il y a un an. Aucun n'a survécu. Ils ont même récupéré les corps grâce à une équipe de robots. Messieurs, vous êtes tous morts. Ce sur quoi les hommes du FBI les carbonisent au Napalm.

    C'est ici une scène terrible où 6 hommes apparemment innocents, fatigués et terrorisés, se font abattre au napalm comme des chiens.

Thématique :
    Au cours de cette scène très forte, le lecteur a appris ce qui n'allait pas. Les hommes que nous suivons ne sont pas ce qu'ils semblent être, ils sont morts depuis un an et ont été dupliqués par quelque chose. C'est la une version du thème purement dickien du simulacre : ces hommes ne sont pas eux-mêmes, mais de simples simulacres d'eux-mêmes, et ils ne le savent même pas.

    Dans le traitement de la réalité et du simulacre, Dick a utilisé plusieurs variantes : c'est ici ce qu'on pourrait appeller un simulacre de l'être humain lui-même, par opposition au simulacre des événements que les personnages croyaient réels.


LES VRAIES PROBLÉMATIQUES

    PKD aurait pu s'arrêter là (son histoire est déjà excellente), et finir sur le désespoir de l'incompréhension et l'horreur du simulacre. Mais il va aller beaucoup plus loin, et se servir de cette situation pour envisager des problèmes très profonds. Pour cela, il crée un renversement de situation et introduit un nouveau personnage qui sera le support des questions essentiels.

    En effet, un certains Wilks, récent au FBI, semble dégouté par ce qu'il vient de voir, par le napalm, par la situation. Wilks devient alors un des protagonistes essentiels de l'histoire. Par lui, on apprend que c'est la 21ème fois que ce phénomène se produit : tous les deux ou trois mois, les explorateurs fantômes atterrissent quelque part, les mêmes hommes, avec les mêmes noms.

Thématique :
    Dick utilise alors un dialogue entre Wilks et Scanlan pour soulever les différents problèmes posés par la situation : Wilks va défendre le point de vue selon lequel il n'y a aucune différence entre ces simulacres humains et les vrais humains. Il pose ainsi le problème de la définition de l'humain par rapport à l'apparence, et Wilks va être le seul personnage à douter du bien fondé de l'extermination des explorateurs. Il va ainsi se demander si on ne pourrait pas les traiter, ou tenter quelque chose d'autre.

    Scanlan, pour sa part, explique que les explorateurs ne sont bel et bien que des simulacres, copiés par quelque chose qui les a vu mourir sur Mars. Pour lui, c'est la preuve qu'ils essaient d'infiltrer la race humaine.

    Cette dualité de point de vue illustre deux types d'attitude différents face à une situation difficile : Scanlan se retranche derrière une pseudo-certitude fondée sur la peur de l'inconnu (ils sont là pour nous infiltrer et ils ne sont pas humains), Wilks illustre l'ouverture d'esprit et la tentative de compréhension (et s'ils étaient aussi humains que moi ?).


 
L'EXPLORATION DU DOUTE

    Dick va désormais se concentrer sur les réflexions intérieures de Wilks et leur exploration. On apprend que l'un des 6 hommes s'est échappé et n'a pas été annihilé au napalm. Scanlan part à sa recherche, laissant Wilks à ses pensées, avec pour ordre de le tuer s'il le voit. Wilks se pose alors deux questions essentielles.

    D'une part : A-t-on jamais réellement tenté d'entrer en contact avec eux ? Autrement dit, a-t-on jamais tenté autre chose que la destruction pure et simple de ce qu'on ne comprend pas ?

    D'autre part, il sait qu'il doit tuer l'explorateur. Mais si ça ne tenait qu'à moi, comment devrais-je réagir ? Autrement dit, quelle attitude dois-je adopter par moi-même, en fonction de ma seule conscience ?

Thématique :
    Bien sûr, ces questions importantes se déclinent sur le thème dickien de la définition de l'humain (qu'est-ce qui est humain et pourquoi). En effet, PKD expose ici l'ideé saugrenue mais intéressante selon laquelle n'importe quelle chose qui semble si humaine doit forcément se sentir humaine, et peut-être devenir vraiment humaine avec le temps.

    Enfin, PKD trouve le moyen de pousser un peu plus loin son investigation du doute par une facilité de scénario : Wilks rencontre le 6ème explorateur, ce qui lui donne l'occasion de confronter ses réflexions à la réalité d'action.

    Malgré la souffrance et le désespoir visible sur le visage de la chose (notez le changement d'appellation de l'explorateur), Wilks tire précisément au moment où la chose allait lui parler. C'est à mon sens très symbolique du refus final de la communication et de la victoire de la peur. Wilks a échoué, au moment décisif, il s'est laissé submerger par l'endoctrinement et la pensée imposée.

    Il s'ensuit un paragraphe grandiose où Dick offre à son personnage une auto-analyse de l'acte de destruction qu'il vient de commettre. Wilks se dit immédiatement qu'il a mal fait, et qu'il a agit parce qu'il avait peur. La peur de ce qui est différent conduit à la destruction (voila une idée qu'il nous faudrait retenir). Il essaie de se justifier en se répétant la litanie qu'on lui a asséné, mais n'arrive pas à se convaincre. Tout est fini. Mais bien sûr, rien n'est fini, car il sait bien que les explorateurs vont revenir...


 
LA DERNIÈRE SCÈNE

    En effet, tout recommence : nous sommes à nouveau avec les explorateurs et le vaisseau atterrit violement.

    Dick, qui avait presque réussi à nous convaincre, par le point de vue des hommes du FBI, que les explorateurs n'étaient pas humains, prend ici le contrepied. Il aurait pu finir en deux phrases précisant simplement que le vaisseau atterrit et que tout recommence, laissant son lecteur imaginer la suite. Mais il a précisément choisit de revenir à la scène du début, à mon sens pour plusieurs raisons.

    D'abord parce que cela crée une boucle. Cette notion de cycle, de recommencement, est assez importante dans l'oeuvre de PKD. Elle est d'ailleurs assez significative de son coté tortueux.

    Ensuite et surtout parce que cela lui permet de finir sur un dialogue entre des êtres humains. Ou plutôt qui se croient humains, parce que nous, lecteurs, nous savons maintenant qu'ils ne le sont pas vraiment. Cette reprise du dialogue a donc implicitement pour but de nous laisser sur la question finale : sont-ils humains ou pas ?

    La première fois, au début de la nouvelle, nous ne nous sommes même pas posés la question...


 
CONCLUSION

    Pour tenter de schématiser ce qu'on peut retenir de cette nouvelle :

  • Plusieurs thématiques : le simulacre, le doute, la liberté d'action et la conscience morale
  • Une technique littéraire : le développement de l'histoire en deux parties, avec deux séries de personnages principaux et un renversement de situation, de même que l'utilisation d'une boucle dans la structure du récit.
  • Une question essentielle : qu'est-ce qui est humain ?


  © Julien Mahoudeau
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