Rencontre avec Philip
K. Dick
entretien réalisé par Patrice Duvic
(Voir la liste des autres articles, chroniques et critiques republiés sur
le site.)
Interview réalisée à Marin
Country en 1971, et publié dans le no 100 de GALAXIE, paru en
septembre 1971. Réédité en 1991, avec l'introduction en sus, dans le recueil
Total Recall.
Introduction
Utiliser conformément à la notice
Publications
de plusieurs romans inédits, rééditions de nombreux autres devenus
introuvables, somptueuse intégrale de ses nouvelles, sans oublier
l'édition posthume numérotée et signée d'un de ses livres :
Philip K. Dick semble ne jamais avoir été aussi prolifique que depuis
qu'il est mort.
Les
Américains le découvrent ou le redécouvrent, sous le regard ironique mais un
peu triste de ses vieux admirateurs européens. Tandis que se crée la Philip
K. Dick Society et que son nom est donné à un prix littéraire, que l'on
s'inspire de Siva pour un opéra et que Radio Free Albemuth figure un
temps sur les listes de best-sellers US, on organise un colloque consacré à
son oeuvre, et études, hommages et biographies se succèdent à un rythme
accéléré.
Ce n'est
probablement qu'un début, et il y a fort à parier que, des deux côtés de
l'Atlantique comme auJapon, thèses universitaires, analyses critiques et
témoignages inédits vont se multiplier dans les années à venir.Non seulement
son oeuvre est l'une des plus riches quenous ait offertes la
science-fiction, mais encore, pourceux qui l'ont bien connu ou même
simplement rencontré, l'homme lui-même avait quelque chose de fascinant, une
part de mystère propre à exciter la curiosité des exégètes.
Dire d'un
auteur qu'il ressemble à ses livres relève du cliché. Il serait sans doute
plus juste de dire que les grands créateurs donnent l'impression de modifier
la réalité qui les entoure pour la faire ressembler à leur oeuvre. Tout
se passe comme s'ils émettaient, bien malgré eux, une sorte de champ où les
événements s'organisent selon une logique qui paraît familière à leurs
lecteurs. Comme Ballard ou Lafferty, Dick était de ces auteurs-là. Et,
quand on connaît son oeuvre, on imagine que l'expérience consistant à se
retrouver, ne serait-ce que fugitivement, dans son univers est pour le
moins marquante.
Qui était
vraiment Philip K. ? Peut-être le saurons-nous mieux un jour, lorsque
paraîtra quelque monumentale biographie...Peut-être aussi, c'est plus
probable, devenu personnage de fiction dans les romansd'autres écrivains,
nous livrera-t-il quelque clef.A moins qu'il ne faille chercher ses messages
dans les graffitis, au dos des pochettes d'allumettes ou à latélévision,
entre deux spots publicitaires.
En attendant
vous trouverez dans les pages suivantes le texte, quasiment brut, d'un
entretien réalisé à Marin County en 1971. Mais avant, juste une dernière
précision en forme de mise en garde
Lorsque Dick
est venu au Festival de Metz, speech mémorable dans la poche, une imposante
croix autour du cou et affirmant à qui voulait l'entendre qu'il tuait les
puces par imposition des mains — méthode qui quand on y réfléchit
ne fait nullement appel à des pouvoirs supranormaux —, j'ai eu la
chance, en tant qu'ami ou interprète bénévole, d'assister à quelques unes de
ses interviews ainsi qu'à ses discussions avec des écrivains ou critiques
français. Et, moi qui croyait innocemment le connaître un peu pour avoir
passé plusieurs fois quelques jours chez lui, j'ai compris que je n'avais
rien compris. À seulement quelques heures d'écart, j'ai découvert un Dick
marxiste bon teint, un autre qui ne jurait que par la psychanalyse, un
troisième qui cherchait à atteindre la vérité par le zen. Et le plus
étonnant est qu'à chaque fois cet autoportrait spontané correspondait très exactement
aux attentes secrètes de ses interlocuteurs. Tous sont repartis ravis,
satisfaits devoir qu'ils ne s'étaient pas trompés sur son compte etque leur
vision était la bonne.
Mécanisme de
défense et de séduction ? Dick caméléon ? Dick Zelig ? A
chaque fois il m'a paru totalement sincère, et somme toute rien n'était
vraiment contradictoire dans ses déclarations, mais quand même. Je ne sais
pas si le plus frappant était cette incroyable faculté de mimétisme ou ce
sens quasi télépathique qui lui permettait si bien de deviner ses
interlocuteurs.
Quoi qu'il en
soit, cela m'a incité à me poser quelques questions sur les interviews qu'il
m'avait accordées. Versons néanmoins au dossier cette discussion du maître
avec un jeune fan français et would-be writer qui découvrait les
Etats-Unis au moment où les sixties finissaient de s'effilocher.
J'ai quitté
l'auteur d'Ubik ravi, illuminé, et
aujourd'hui encore je reste convaincu que c'est le vrai Dick qui s'exprime
dans ces quelques pages. D'ailleurs, n'était-il pas exactement tel que nous
l'imaginions à la lecture de ses livres ? Or un livre est un livre.
Certes les interprétations peuvent différer, mais il ne peut tout même pas
se transformer en fonction de chacun de ses lecteurs ! Cela ressemblerait trop à du Dick...
Patrice Duvic.
PKD :
Il y a pas mal d'années, quand j'avais dix-huit, dix-neuf, vingt ans,
j'étais politiquement très actif, d'une manière très théorique, très
marxiste, et je voyais les choses en termes de lutte des classes. Je
faisais partie de cette famille de pensée et je ne l'ai quittée que pour
m'apercevoir que j'avais une grande maison et que j'étais devenu très
conservateur. Je me suis simplement éloigné de toutes considérations
théoriques pour aller vers les domaines psychologiques et littéraires, les
domaines esthétiques, les problèmes pratiques, même les religions. Et
toutes sortes de choses se sont produites. J'en suis venu a un point où
j'étais presque anti-intellectuel dans la mesure où j'avais cessé de penser
théoriquement, et par conséquent intellectuellement, et où je prenais les
choses au jour le jour, utilisant une sorte vocabulaire réaliste. Cela me
convient mieux que quelque chose de théorique parce que c'est plus réel et
plus adapté à la vie individuelle. Parfois on entend les gens dire :
« Je ne veux pas penser aux Noirs ou aux Blancs ou à l'égalité
raciale. J'ai des amis qui sont noirs et je les aime. » C'est
presque une sorte d'idéologie en soi quand gens disent cela.
J'ai des amis
noirs et je suis simplement trop paresseux intellectuellement pour y penser
de manière théorique. Je vis avec des gens, c'est tout.
Après que je fus
sorti de l'hôpital et même avant, et cela est vrai jusqu'à aujourd'hui, je
suis devenu de plus en plus concerné par une sorte de culture de rue, par
des jeunes de l'âge du lycée. Je vis dans un endroit, dans le Marin County
en Californie, qui est une sorte de banlieue résidentielle appelée San
Michele. C'est un endroit très sauvage, très dur. Non pas dans le sens où
l'on dit que les taudis sont durs, mais plutôt à la façon de ce que l'on
appelait les villes ouvertes, comme dans le Wyoming quand, le samedi soir,
il y avait des rixes et que l'on faisait le coup de feu. C'est un endroit
où tout le monde vole les possessions de tout le monde, où tout le monde a
l'air de vendre de la drogue, d'acheter de la drogue, de fumer, de prendre,
d'avaler de la drogue ou de se faire arrêter pour le faire, à tort ou à
raison. La nuit, on entend des coups de feu, des échos de bagarres au
couteau. Les policiers tirent constamment. Les voisins vont et viennent du
poste de police à leur domicile pour se plaindre ou dénoncer quelqu'un. Je
sors pour prendre le courrier et je vois une voiture de police devant la
maison. Ici, c'est une manière de vivre. Nous en plaisantons. On va
jusqu'à la station-service pour passer un coup de fil, et il y a là cinq
voitures de police, huit ou neuf policiers qui dégainent et embarquent un
groupe de types. On va au libre-service et il y a un policier qui observe
les gens qui franchissent la porte. D'une certaine manière, c'est amusant.
Nous en sommes arrivés à un point où nous y prenons plaisir. C'est un mode
de vie. Ce n'est pas vraiment la merde, mais je suppose que pour les gens
qui se font arrêter ou tirer dessus c'est la merde. J'ai perdu pour près de
dix mille dollars de choses qui m'appartenaient et qui m'ont été volées,
tout ce qui avait un peu de valeur, chaîne stéréo, collection de timbres,
rasoirs. Tout est volé. Et cela ne me tourmente pas. Je ne sais pas
pourquoi. Peut-être que cela devrait. J'aime même plutôt ça. Tous les
gens que je connais plaisantent à ce sujet. Je suis très profondément
attaché à un tas de gosses du coin pour toutes sortes de raisons. Je suis
allé dans une des high schools la semaine dernière pour parler de la
science-fiction devant l'une des classes. C'était une expérience très
enrichissante. J'y ai pris un grand plaisir, une grande satisfaction, et, il
y a quelques mois, je n'ai même pas répondu à une invitation de l'université
de Stanford pour aller y faire une conférence. Mais ça, oui, j'y suis
allé. Un machin très anti-intellectuel. La vie de ces gosses consiste en
coups de feu la nuit, en bagarres avec la police et toutes sortes de flirts
avec la violence.
Ceux qui vivent
dans d'autres parties de Marin County et qui appartiennent à d'autres
couches de la population ne comprennent pas comment on peut avoir ce genre
de vie et en dépendre sur une base théorique et morale. Pourquoi s'obstiner
à vouloir vivre en un lieu où tout ce que l'on possède est volé si l'on va
au cinéma ? 0ù il faut toujours laisser quelqu'un dans la maison ?
Comment peut-on vivre avec des gens qui volent et dont tout ce qu'ils
possèdent n'a pas été acheté, mais volé ? Comment peut-on vivre avec
des gosses qui se droguent ? Un jour, je me suis réveillé et j'ai
compris que mes parents ne me parleraient plus à cause de ce qu'ils
considèrent comme une vie immorale, que mes vieux amis ne viendront plus me
voir parce que je ne discute plus avec eux de choses profondes et
théoriques.
Je pense que
pour mes amis ma vie est trop immorale, trop sauvage, trop
anti-intellectuelle Je ne sais pas exactement. je n'ai jamais pu comprendre,
et les gens avec qui je vis ne s'interrogent pas là-dessus. Mais ils sont un
peu dans la même situation. Les gosses que je connais sont rejetés par leurs
parents. Beaucoup d'entre eux ont passé six mois ou un an en détention
d'autres sont en liberté surveillée, d'autres même travaillent avec les
flics. Tous les jeunes que je connais ont été démolis par la police ou
presque démolis. C'est une sorte de préjugé de la part des gens des autres
parties du comté. Ils n'arrivent pas à envisager comment on peut vivre ce
genre de vie. Je suis très cultivé et très respecté en tant
qu'écrivain. « Comment peux-tu vivre dans une maison comme
celle-là ? » Ils pensent que je me détériore
intellectuellement, moralement de toutes les manières. Ils disent que je
finirai en prison. J'ai eu la visite d'un intellectuel marxiste norvégien,
qui est aussi une autorité sur le rock américain. une autorité sur Ibsen,
très cultivé, très intelligent, mais également très
« hip », très « cool », et il
voulait discuter avec moi de mes livres, et nous n'avons pas pu le faire
parce que la maison était constamment remplie de ce que mes vieux
appelleraient des délinquants juvéniles qui venaient avec leurs divers
problèmes plus ou moins ridicules. II est resté ici quatre ou cinq jours et
nous n'avons jamais pu réaliser une interview. Nous n'avons jamais eu le
temps. II y avait toujours un gosse de quatorze ans qui venait de se faire
arrêter pour avoir volé une moto. Finalement, ce Norvégien a du partir sans
que nous ayons fait quoi que ce soit. J'étais terriblement désolé. Je lui ai
dit : « Cela doit être une grosse déception pour vous. Nous
n'avons pas pu discuter de problèmes théoriques... » Et il m'a
répondu que pas du tout. Et qu'il pensait que je vivais vraiment dans la
réalité, que ma vie avec ces gens était la réalité. C'est ce que je
pensais. Et il a ajouté à cela un cadre théorique, le cadre théorique qui
était le mien quand j'avais dix-huit, vingt ans, quand j'étais politiquement
très actif. II a pris la vie que j'ai vécue, les gens avec qui je vis et le
cadre théorique qui était le mien, et il a mis tout cela ensemble. Et cela
formait une réalité complète. Il y avait une expérience vécue et une
explication intellectuelle, théorique, abstraite, verbale, une cohérence
pour en rendre compte, pour la justifier. Quand j'avais dix-huit, vingt ans,
j'avais la part théorique, mais seulement elle, pas la réalité. Maintenant,
j'ai la réalité mais pas le cadre théorique. Et tout à coup, il a relié les
deux. J'ai très bien vu ce qu'il voulait dire. Et il pensait que c'était une
très bonne chose pour moi et que je reviendrais à des oeuvres plus
politiques, maintenant que j'ai résolu le problème qui était si difficile à
résoudre, celui dont nous discutions tout à l'heure : la relation entre
les mots et la réalité, entre les idées et l'expérience, entre la réalité
verbale et la réalité physique. Ce n'est que pendant les dernières heures où
il était là que j'ai commencé pour la première fois de ma vie à synthétiser
et à unifier ces deux réalités. Il a sans doute raison : je vais
probablement écrire des choses plus allégoriques, plus politiques. Mais
elles seront aussi psychologiques, on y retrouvera aussi ma préoccupation de
psychisme, une présentation plus complète des gens et des idées. Tout cela
fusionnera dans ce que j'écrirai, comme ce sera le cas dans ma vie.
PD : Mais comment rattachez-vous cette situation spécifique à
Marin County au reste du monde ? Je suppose que cela doit faire
également partie de ce cadre théorique...
PKD : C'est l'une des lacunes de mon expérience. En fait je
ne voyage pas beaucoup. J'ai voyagé aux Etats-Unis, j'ai voyagé au Mexique,
mais je n'ai jamais été plus loin, et je vis dans un microcosme parce que je
ne sais pas comment cela est lié au reste du monde et même à ce qui se passe
dans le reste du pays. J'étais conscient de cela quand Harald Lund, le
Norvégien, était ici. Je ne vais nulle part. C'est un peu l'opposition entre
le cosmopolite et le rustique.
Quelle validité
a mon expérience personnelle projetée de manière universelle ? Je pense
que c'est une question que personne n'aime se poser. Même les gens les plus
cosmopolites.
Si par exemple
je base ce que j'écris sur ma propre expérience et qu'elle n'est qu'une
anomalie, sans aucune valeur pour le reste du monde, alors c'est que je
manque de chance. C'est la même chose que pour la pertinence
historique : quelque chose peut être très valable à un moment donné de
l'Histoire, mais absolument dénué d'à-propos le reste du temps. Je pense
néanmoins qu'il doit y avoir des éléments communs à toutes les expériences,
à tous les gens, à toutes les civilisations, à toutes les réalités, que tous
les microcosmes sont d'une certaine façon reliés, comme pour la
science : si les gaz se refroidissent quand ils se contractent à un
endroit, ils le font probablement aussi ailleurs. Nous devons partir du
postulat qu'il existe une universalité pour la vie humaine, comme il en
existe une dans les sciences physiques. Mais personne ne peut l'extrapoler à
partir de sa propre expérience, personne ne peut assurer que la façon dont
fonctionne son esprit est la façon dont fonctionne l'esprit des
autres. C'est l'un des grands thèmes de ce que j'écris. Mon monde est
différent du vôtre, le vôtre est différent de celui de tous les autres
hommes ! Univers individuel universel et univers collectif... Qui
sait ? Qui peut apporter une preuve ? On ne peut faire que des
suppositions.
Quand j'ai
commencé à écrire, j'étais préoccupé par des problèmes qui étaient vraiment
MES problèmes, mes obsessions, mon cosmos. Et j'ai eu la chance qu'il y ait
eu beaucoup de gens dont la vision du monde et les problèmes étaient plus ou
moins similaires, suffisamment similaires pour qu'ils puissent sentir ce que
je faisais et le trouver pertinent. Ce n'est pas toujours le cas. Parfois il
m'arrive de tomber à côté, de me parler à moi-même et à personne d'autre,
d'être très obscur. Et c'est quelque chose que je ne peux pas contrôler. On
ne peut pas dire : « Maintenant je vais être
universel ! Je vais cesser d'être obscur ! Je vais être
pertinent... »
PD : Et en ce qui concerne la complémentarité de ces
différents endroits, de ces différentes réalités ? Le lien qu'elles ont
en raison même de leurs différences...
PKD : II y a beaucoup de liens, mais c'est précisément ce
que je ne sais pas. El c'est pourquoi j'ai répondu comme je l'ai fait.
PD : Cela ne risque-t-il pas de remettre en question le cadre
théorique dont nous parlions ?
PKD : Tout ce que je peux dire, c'est que je suis en train
de trouver une réponse à cette question. D'une certaine manière, c'est le
vrai problème auquel je m'attaque dans ce que j'écris.
Je n'aime pas
répondre à une question par : « Je ne sais pas. »
Cela n'aide personne, mais je commence simplement maintenant à concevoir à
quoi ressemblera ce que j'écrirai dans le futur. Et je peux voir que ce que
vous venez de dire constituera un problème pour moi. C'est précisément ce
que je ne sais pas et qu'il faut que je sache, c'est ce à quoi je vais
m'attaquer. C'est une grande question fondamentale. Actuellement. je ne peux
encore qu'entrevoir les lignes les plus obscures du problème. Nous disions
il y a un moment qu'un roman de science-fiction contient un inonde
imaginaire purement arbitraire qui est vrai en soi, mais qui n'est pas
nécessairement vrai pour quoi que ce soit en dehors du livre. Et vous avez
noté qu'il existait néanmoins une relation. Nous en avons discuté un moment
et nous n'avons pas épuisé le sujet, parce qu'il ne peut pas être réellement
épuisé ni sur le plan de la question, ni sur celui de la réponse. Le
problème est compliqué et la réponse est compliquée. Disons que j'ai
commencé un roman, un roman de science-fiction. Maintenant, disons que tous
les romans de science-fiction contiennent en eux un monde imaginaire. Ce
monde imaginaire, arbitraire, aura une forme de relation avec la réalité
dans la mesure où il s'est d'une certaine manière développé à partir de la
réalité, de l'observation de la réalité, de certaines tendances de la
réalité. II contiendra des éléments qui sont observés sous une autre forme
dans la réalité. Par la suite c'est par rapport à un autre type de relation
avec la réalité qu'on juge de leur pertinence. Non pas combien ils sont
ressemblants, mais comment ils apportent une solution relative à la
compréhension de la réalité extérieure. Non pas une solution qui serait une
réponse, mais un analogue. Et quand quelqu'un lira le livre et saisira
l'image de ce monde, cela lui donnera une vision plus pénétrante de son
propre monde, de lui-même, et de la relation entre les deux. D'une certaine
façon, cela ajoutera quelque chose à sa capacité d'affronter sa réalité, non
pas en offrant des réponses toutes faites mais en augmentant ses
possibilités de compréhension, ne serait-ce qu'en lui donnant une
flexibilité d'esprit qui lui permettra de faire changer les choses.
Maintenant, quand j'écrirai ce prochain roman, cela sera vrai.
PD : Cela me semble déjà vrai de la plupart de vos
romans. Bien sûr je ne sais pas ce que sera le prochain...
PKD : Il se rattachera moins à ma tendance psychologique,
symbolique, relative à la réalité intérieure. Je reviendrai plutôt à quelque
chose comme Loterie solaire, sociologique, scientifique, théorique et qui
devra être considéré, comme on l'a fait pour Loterie solaire, en rapport avec
certaines tendances réelles de la société, comme des possibilités, certaines
horribles, certaines désirables, certaines non. Mais je vise à quelque chose
d'autre, parce que dans Loterie
solaire, par exemple, on ne trouve aucun personnage comme j'en ai
introduit dans certains de mes livres plus récents tels que En attendant l'année
dernière.
Maintenant, ce
que je vais faire, j'espère, c'est conserver quelques personnages pleinement
articulés, en me basant sur l'importance que ces gens ont prise dans ma vie,
sur ma vie avec eux, en même temps que le contenu social. J'espère pouvoir
réunir les deux, que les deux choses seront là. Et je pense que la
pertinence du livre en dépend. Il ne sera pas pertinent parce qu'il sera
sociologiquement possible, analogique. Il ne sera pas pertinent en raison de
la valeur universelle de certains états psychologiques, de certains
archétypes qui sont communs à tous. Il sera pertinent sur une troisième base
qui sera en rapport avec l'activité de l'esprit humain, de l'être humain
selon d'autres êtres humains. Est-ce que je peux arrêter maintenant ?
Est-ce que nous pouvons abandonner ce sujet, parce que c'est vraiment ce qui
pose un problème pour moi en ce moment ?
Mais je voudrais
expliquer pourquoi. J'en suis à un point où je me sens très bien. Je parlais
tout à l'heure de cette année que je viens de passer et où j'ai eu des
problèmes très difficiles, qui à un moment sont devenus trop importants pour
moi. Ce que je voulais dire est ceci : la plus profonde tentative de
résolution du problème que j'affronte peut être inadéquate, ce qui n'est pas
nécessairement me stigmatiser : les problèmes peuvent tout simplement
être au-delà de toute possibilité de contrôle humain et il y a quelques
minutes je me disais : « Bien sûr, cette période de ma vie
est maintenant terminée. Je ne suis pas en train de dériver, de me briser,
de m'en aller en morceaux, d'aller à l'hôpital, d'abandonner, de
mourir. Rien de tout cela. » Mais mes problèmes extérieurs sont
pires qu'ils ne l'ont jamais été sur le plan économique, financier, le genre
de choses qui semblaient avoir eu raison de moi à l'époque. Maintenant ce
n'est plus le cas. Et je me disais : « Comment se fait-il
que maintenant je n'aie plus le sentiment que je vais me désintégrer,
comment se fait-il que je ne sois pas épuisé, incapable de discuter ?
Quelle est la différence ? Pourquoi cela ne m'atteint-il
plus ? » Et j'ai compris que les approches qui étaient les
miennes à l'époque ont échoué parce que, bien qu'elles soient profondes,
elles étaient déséquilibrées, déséquilibrées parce qu'elles étaient
unilatérales. J'étais trop concerné. C'est une réponse rationnelle au stress
que de s'inquiéter, de chercher à résoudre le problème. Mais par sa nature
même, ce genre d'activité bouche les perspectives. Si l'on se trouve face à
un problème difficile, il est naturel d'essayer de le résoudre, mais, en
essayant de le faire, on est tellement pris par le processus de résolution
que tous les aspects de la vie qui ne sont pas résolutions sont
oubliés.
Ce que je pense
maintenant, c'est que, par exemple, on peut dire que le plus grand bretteur
était quelqu'un qui ne s'est jamais servi de son épée, qui ne s'est jamais
battu en duel. Et pour cette raison il était un grand bretteur. Et c'est
d'une certaine manière ce que je dis que j'ai appris : le moyen le plus
effectif de résoudre les problèmes est de ne pas être trop accaparé par leur
résolution. Faire de la vie une constante tentative de résolution rend
impossible cette résolution. J'ai appris à maintenir une certaine dualité et
à préserver une partie de moi-même.
PD : Est-ce que cette difficulté ne vient pas du fait que
dans la résolution la première chose que l'on fait est d'essayer de formuler
le problème, de le poser et que, par suite, on s'attache non à résoudre le
problème lui-même mais le problème tel qu'il est formulé ?
PKD : Oui. On essaie de le formuler verbalement. Et même si
l'on parvient à formuler quelque chose d'un tant soit peu cohérent, on a
toutes chances de tomber à côté. On fait face à des problèmes si profonds,
si embrouillés, que l'on ne peut pas les voir intellectuellement,
verbalement. On ne peut pas bâtir un analogue intellectuel au problème. Et
donc si l'on arrive à en trouver un qui paraisse cohérent, ou d'une certaine
manière valable, c'est mauvais. Tout ce que l'on a à faire est de lire le
Château ou le Procès pour réaliser que les problèmes peuvent être
tellement obscurs, tellement mystérieux que l'on ne peut même pas comprendre
leur nature. On se sent en insécurité, on est effrayé. Comment peut-on les
résoudre ? On ne peut même pas voir ce qui est en train de se passer,
on ne peut pas le comprendre.
Dans
un sens je pense que vous avez tout à fait raison : on se condamne
presque soi-même en essayant de répondre à ce besoin d'être capable de
formuler le problème. Et pourtant il semble que c'est LA chose à faire, que
c'est un premier pas vers la résolution. Je saisis très bien. C'est très
juste. Je n'essaie même plus de comprendre quelles sont les forces que je
présume être contre moi. Un exemple parfait : ce qui caractérise la
paranoïa est la tentative de trouver une structure compréhensible pour
expliquer ce qui se passe. En d'autres termes, les choses vont mal et l'on
en vient finalement à s'imaginer que tout le monde essaie délibérément de
vous coincer. Le moment où l'on commence à penser de manière paranoïaque est
l'exemple parfait. Tous les paranoïaques ont échoué dans leur tentative
d'affronter la réalité et lui ont substitué un système de pensée.
Je n'essaie pas
d'envisager ce qui est en train de se passer à la manière d'un
paranoïaque : il essaie de faire partir sa voiture et elle ne démarre
pas. La première chose qu'il dira est que quelqu'un l'a fait de propos
délibéré. Et s'il l'a fait, pourquoi ? Et qui est-il ? Qui d'autre
est impliqué dans ce sabotage ? Et quel est leur but ?
Si ma voiture ne
démarre pas, je ne me poserai pas de questions comme celles-là. Je
constaterai simplement qu'elle ne démarre pas, c'est la seule chose dont je
sois sûr.
PD : Mais cela ne risque-t-il pas d'être la même chose pour ce
cadre politique théorique dont nous parlions ? Cela aussi est
résolution de problèmes...
PKD : C'est ce que Harald Lund a dit qu'il trouvait valable et
non valable qui m'a impressionné, et ce à quoi j'ai fait allusion quand j'ai
dit que j'allais revenir à quelque chose de plus politique, de plus
théorique. Nous avons parlé de la police, c'est un sujet qui est revenu
plusieurs fois dans la conversation. J'ai dit que le coin était tellement
envahi de crimes et de flics que l'on est journellement confronté à la
police. Et j'ai mentionné le fait que je me sentais très mal à l'aise chaque
fois que la police est autour de moi, parce que je pense qu'ils vont
peut-être me tomber dessus, et j'ai dit cela à l'un de mes amis respectables
d'une autre partie du comté. Et il m'a dit : « Eh bien, si
tu deviens nerveux chaque fois que tu passes à proximité du poste de police,
c'est que tu dois avoir fait quelque chose de terrible, quelque chose que tu
ne veux pas que les gens sachent... » Et je lui ai répondu que
non, que je devenais simplement nerveux quand je voyais une voiture de
police venir vers moi. Est-ce que cela voulait dire que j'avais fait quoi
que ce soit ?
PD : Peut-être est-ce au contraire la police qui est en train
de faire quelque chose...
PKD : Oui. C'est le genre de choses que je suis maintenant prêt à supposer.
PD : La police a un rôle politique...
PKD : C'est le genre de choses que l'on ne peut pas dire à un
jury. On n'est pas censé avoir peur des flics, à moins que l'on ait quelque
chose à cacher. Et je sais que l'une des choses qui me lient à tous ces
jeunes est le fait que nous avons tous peur de la police. Bon nombre d'entre
nous ont fait des choses qui sont illégales. Le fait que quelque chose soit
illégal ne veut pas dire que c'est mal. Mais, quoi qu'il en soit, nous
n'avons pas tous fait quelque chose, et pourtant ceux d'entre nous qui n'ont
rien fait sentent la même chose. Ce doit donc être une sorte de phénomène
culturel, un sentiment de classe. Et Harald Lund m'a dit ceci :
« Il ne faut pas vous laisser obséder par cet aspect négatif. Ce
qu'il faut comprendre, en d'autres termes, c'est ce que vous défendez, ce en
quoi vous croyez et qui se cache derrière cette peur. » Quand on
voit un gros flic stupide au supermarché, on sait que n'importe qui
franchissant la porte ayant l'air de ce que l'on peut appeler un hippy, un
drogué, ou quelque chose de ce genre, sera aussitôt alpagué et peut-être
emmené en prison. Maintenant, qu'est-ce qu'il y a de positif, qu'est-ce
qu'il y a de bon qui soit menacé par cela ? Il doit y avoir quelque
chose. Et j'ai vu que ce n'était que le sommet d'un iceberg. Tout à coup,
comme dans un flash, j'ai brusquement pris conscience de l'énorme réalité
des choses que j'essayais de défendre et de protéger, et qui étaient si
valables et si fragiles et si vulnérables et auxquelles ce type pouvait
porter atteinte.
PD : Mais je suppose que pour en arriver à ce point, pour que
les flics soient partout, ils doivent avoir terriblement peur de la partie
invisible de l'iceberg...
PKD : Nous avons peur de l'autorité, peur de l'attention qu'elle
nous porte sans être véritablement conscients de ce que nous avons fait pour
mériter cette attention, et l'on sent que cette attention est dangereuse,
que l'autorité voudrait bien trouver quelque chose que nous avons fait, par
exemple que nous avons de la drogue sur nous. Elle souhaite que nous en
ayons. C'est là la grande différence, parce que si elle le souhaite c'est
qu'elle n'est pas contre la drogue. C'est qu'elle est contre les gens. La
drogue n'est qu'un moyen de coincer les gens. Je ne fume pas de drogue, je
n'en porte pas sur moi, mais je me sens comme les gens qui le font. Je
ressens la même peur qu'eux. Sauf que ma peur n'a pas de base rationnelle
comme la leur. Ce doit donc être quelque chose de plus profond. Parce que
effectivement ils ont peur de nous, nous les effrayons d'une certaine
manière. Nous les considérons comme dangereux, mais il y a en nous quelque
chose non pas qu'ils n'aiment pas, mais...
PD : ... qui constitue un danger pour eux ?
PKD : Oui. C'est cela. Je ne pense pas que nous soyons
haïssables dans un sens strict. Ce n'est pas aussi simple que cela. Je
m'explique : j'entends mes amis respectables du comté dire qu'ici les
gens se droguent, qu'ils volent, qu'ils mentent, qu'ils sont
indépendants. Quand les impôts ont augmenté, j'ai entendu une de mes amies
crier d'horreur le jour où elle a reçu sa feuille d'impôts. Elle ne pourrait
pas conserver l'un des quatre ou cinq immeubles qu'elle possède. C'est une
femme qui m'a dit une fois qu'elle pouvait réunir deux cent mille dollars
cash s'il le fallait. Et elle pleurait sur sa feuille d'impôts. Elle disait
que le procès d'Angela Davis ferait monter ses impôts, que l'un de nous deux
finirait par avoir ce qu'elle possède, moi ou Angela Davis, et que c'était
un monde terrible. Et je lui ai dit que moi aussi j'avais une feuille
d'impôts. Je possède une maison. Et mes impôts sont censés aller aux écoles,
à la recherche médicale, au contrôle des semailles, à la lutte contre les
moustiques. C'est ce que dit ma feuille d'impôts. Je n'y vois pas Angela
Davis. Et je ne vois pas non plus mon nom sur sa feuille d'impôts.
Et cette femme a
peur. Elle a peur des Noirs, elle a peur des jeunes, elle a peur des gens
qui se droguent, elle a peur des gens dont elle pense qu'ils se
droguent. Elle a peur de toutes sortes de choses, et quand il lui arrive de
dire des choses très cruelles comme : « Je ne veux pas lui
parler : c'est un Noir... », ce n'est pas parce qu'elle le
hait, mais parce que d'une certaine manière elle a peur de lui. Je le sens
vraiment. C'est la terrible vérité. Et je regarde ces gens, tout
particulièrement ces gosses que je connais, en essayant de me figurer
pourquoi ils peuvent être effrayants, menaçants pour l'establishment. Que
sont-ils en train de défendre et de protéger et d'aider à grandir ?
C'est cela qui est menaçant, parce qu'ils savent que c'est quelque chose qui
grandit, ils le sentent. Et ils savent mieux que nous ce que c'est, mieux
que moi. Ils ont probablement une idée très claire de ce que nous
défendons. Je n'en avais aucune idée avant qu'Harald ne me le dise. Et plus
j'y pense, plus j'ai centré mon attention sur quelques filles que je
connais, parce que l'une d'elles a gravement offensé cette riche amie dont
nous parlions. Comment une gosse de dix-huit ans peut-elle être aussi
effrayante pour une femme qui peut réunir deux cent mille dollars, qui
possède quatre immeubles et pour plusieurs milliers de dollars de plages,
des choses comme cela ? Qui a tant d'argent, tant de propriétés ?
Comment une gosse peut-elle lui paraître aussi menaçante ? Si
effrayante qu'elle m'a juré : « Je ne veux plus jamais
revoir cette fille chez moi ! Elle est trop dangereuse, elle finira par
te détruire, elle finira par détruire tout le monde ! »
C'est irrationnel : aucune gosse de dix-huit ans ne devrait faire peur
à quelqu'un qui possède deux cent mille dollars, qui a tant de prestige,
tant d'influence, qui connaît des personnes haut placées. Et j'ai pensé aux
choses en lesquelles croit cette fille et qu'elle présuppose comme faisant
partie de son univers. Certains de ces gosses de seize, quatorze ans,
surtout les filles, pensent déjà à des familles, à former des familles, mais
pas des familles dans le sens où l'on parlait autrefois de bonnes familles,
où il y avait un mariage contre un homme et une femme, puis de bons enfants,
et où tous les efforts tendaient à protéger ces enfants, à les protéger par
des mensonges qui perpétueront non pas les valeurs traditionnelles, mais un
héritage, des possessions concrètes, matérielles, qu'ils leur transmettront,
de la terre mais aussi de la vaisselle, un plat en argent de vingt mille
dollars, un millier de dollars pour un antique caractère chinois peint à la
main. Ce genre de famille où la parenté est une affaire de sang et où les
choses que l'on possède sont transmises de père en fils, où les objets sont
inséparables d'une bonne généalogie. Ils ne les transmettront qu'à leurs
descendants, et ne soutiendront que leurs propres enfants. Ceux-ci recevront
la meilleure éducation et seront envoyés dans les meilleures écoles. On leur
redressera les dents pour qu'ils aient l'air parfaits, racés. Et cela
s'arrêtera là et le reste du monde peut bien crever. Et tout ce qu'ils ont
et tout ce qu'ils savent n'est qu'autant d'armes, pour transmettre,
perpétuer et protéger cette personnification d'eux-mêmes et de leurs propres
valeurs et de leurs biens — génération après génération. Et cette
jeune fille et d'autres comme elle sont déjà en train d'envisager et de
former un tout autre genre de famille, le genre de famille que
l'establishment et les gens aisés appelleraient une communauté hippie. Il
n'y a pas de rapport avec ce qu'ils appellent eux une famille, parce que
pour eux, en un sens, ce n'en est pas une. Il n'y pas de liens de sang, il
n'y a pas un nombre donné de personnes, et dans un certain nombre de cas ce
ne sont pas les mêmes gens qui en font partie sur une période de plus de
deux ou trois mois. Il peut y avoir sept ou huit personnes, mais elles
changent. II y a des gens qui arrivent et des gens qui s'en vont, parfois
ils ne connaissent même pas leurs noms, ils savent leurs prénoms mais ne se
sont pas présentés de façon plus précise. La contribution des membres
varie ; pour certains c'est de l'argent, pour d'autres c'est du
travail, ou rien, ou tout. Les valeurs des gens peuvent différer. Il n'y a
pas d'homogénéité dans les valeurs de base, comme il y en a une dans les
quartiers aisés où tout le monde est d'accord, où tout le monde veut les
mêmes choses, être protégé par la police, que les lois soient respectées,
que leurs filles soient protégées contre la drogue, le viol, le sexe. Ce
n'est pas du tout ce genre de famille qui est en train de se créer. Une
possession n'est même pas considérée comme quelque chose que l'on
possède. Les choses passent de main en main, on ne sait pas qui les a
apportées et quand elles disparaissent on ne sait pas qui les a
emportées. Les choses y sont utilisées sans considération pour leur valeur
marchande, et même en un sens sans considération pour ce qu'elles
sont ; je veux dire qu'elles sont regardées mais pas consommées, ou
encore consommées mais pas regardées. Toutes les bases de ce qu'est la
propriété, toutes les bases de ce qu'est la morale sont en train de
changer. Il est même difficile de formuler ce que c'est : quelque chose
qui est en train de grandir, qui devient. En tout cas je vois ce que ce
n'est pas. Il n'y a pas le sens aigu d'un groupe intérieur qui fait bloc
contre un groupe extérieur. Différentes familles s'interpénètrent et se
fondent, se séparent et se reforment. La distinction entre les gens qui font
partie de la famille, les gens que l'on connaît, et les gens qui sont des
étrangers, les gens que l'on ne connaît pas a, d'une certaine manière,
disparu. Ce n'est pas une idéologie, il n'y a pas de formule du genre :
un étranger est simplement un ami que je n'ai pas encore rencontré. Rien,
rien de tel. C'est simplement que l'on voit et que l'on parle à quelqu'un
que l'on n'a jamais vu, pour une raison quelconque, et que l'on discute avec
lui sans même être conscient du fait qu'on ne l'a jamais vu. Et s'ils
l'avaient vu, ils le sauraient, ils diraient : « Oui, c'est
vrai, c'est quelqu'un que je connais... » Ils n'ont aucun sens de
ce que l'on peut appeler la xénophobie. Il n'y a pas de peur de l'étranger,
il n'y a même pas le sentiment que quelqu'un est étranger, différent,
autre. Et cela est vrai entre les différentes races. On voit ensemble des
Noirs et des Blancs sans qu'ils en soient conscients, si ce n'est au sens
littéral, physique. On sait que quelqu'un est noir, mais ils n'y pensent pas
comme à une caractéristique. En dix ou onze mois, je n'ai jamais entendu les
mots « droits civiques », je n'ai jamais entendu le
mot « égalité », je n'ai jamais rien entendu de tout
cela. Les gens vont et viennent. Un ami à moi, que l'on pourrait, je pense,
appeler un hippy, dans la mesure où il préfère ne pas avoir un travail
régulier et ne pas vivre à un endroit particulier, un jour où il avait un
problème avec sa moto, a arrêté la première personne qu'il a rencontrée et
s'est mis à discuter avec elle, un jeune Noir qui montait dans sa
voiture : ils ont parlé à peu près trois quarts d'heure et se sont
séparés. Ils ne se reverront jamais, mais ils n'avaient pas le sentiment de
se rencontrer comme des étrangers, ni de se quitter amis. Ils étaient les
mêmes quand ils se sont rencontrés et quand ils se sont quittés. Ils étaient
toujours amis et ils étaient toujours des étrangers. Il n'y avait aucune
distinction réelle de faite, et il n'en existe pas plus entre ma famille et
ceux qui n'en font pas partie, et donc il n'y a pas de distinction entre un
« nous » et un « ils », entre
nous qui protégeons ce que nous avons et eux qui le menacent, et il ne peut
même pas y avoir de différence entre possédants et non-possédants. Personne
ne peut se figurer qui a quoi. Des choses apparaîtront, et personne ne
pourra dire à qui cela appartient. Personne ne pourra s'en
souvenir. Quelqu'un d'autre les volera et personne ne pourra s'imaginer où
elles sont parties.
Je ne formule pas du tout cela clairement.
Mais le
phénomène en soi a cette qualité fluide de quelque chose qui n'est pas
formulé. C'est un peu comme une toxine métabolique qui détruit dans l'esprit
un complexe rigide qui fait que quelqu'un ressasse encore et encore la même
idée fixe quel que soit son point de départ. Cela ressemble à ce genre de
toxine, en ce moment, dans la mesure où cela menace des idées, des valeurs
rigides, clairement formulées, où cela menace les frontières, les actions
cotées en Bourse, la propriété, où cela menace toutes sortes de choses
nettement définies, qui sont mauvaises, qui sont bonnes, qui sont les
miennes ou qui ne sont pas les miennes, qui sont valables ou qui ne le sont
pas. Et finalement je pense que ces gens, ces jeunes, cette fille, sont
menaçants pour les gens plus vieux, plus en place, plus influents.
En dernière
analyse, je pense que cette jeune fille met spécifiquement en danger cette
amie, non pas par la manière dont elle vit, ou par ce en quoi elle croit ou
ne croit pas, ou par ce qu'elle protège ou ne cherche pas à protéger, mais
parce que toutes ces choses ne sont que des prolongements de ce qu'elle
est.
Je la vois comme
un individu qui se heurte, qui fait face aux gens classifiés, en place. Elle
les regarde d'une façon qu'ils n'aiment pas. Je n'aime pas aller au
libre-service vers minuit et que le flic me regarde comme il me regarde,
parce que je sais ce que son regard veut dire. Il veut dire :
« J'espère que tu vas faire quelque chose de mal, je veux que tu
le fasses, pour que je puisse te tomber dessus. Et si tu le fais je te
démolirai et je te dirai que je te démolis parce que tu as fait quelque
chose, mais je sais et tu sais que le fait que tu fasses quelque chose de
mal n'est qu'un prétexte. »
Maintenant, ce n'est pas cela que dit le regard de cette fille. Il ne dit pas qu'il cherche un prétexte. Je pense que ce regard veut dire : « Je ne te crois pas... Je ne crois pas ce que tu dis... Je ne te crois pas quand tu dis que tu hais quelqu'un... Et quand tu hais quelqu'un ce n'est pas pour les raisons que tu donnes... Je ne te crois pas quand tu dis que quelque chose est bien... Je ne te crois pas à un point tel que je ne suis sûr de rien sur ton compte... Et c'est à peu près tout ce que je peux dire... »
C'est quelque
chose d'effrayant pour ces gens respectables que leur monde ne puisse pas
admettre de tels enfants, ne puisse pas supporter un soulèvement de cet
ordre, un soulèvement qui affirme qu'il ne peut pas être convaincu par leur
raison, convaincu par leurs slogans, convaincu par leurs idéaux qui ne
servent qu'eux-mêmes, convaincu par quoi que ce soit qui fasse partie de
leur monde, je ne sais pas. Parce que je ne comprends pas vraiment si bien
leur monde. Et je ne crois pas que cette gosse le comprenne très bien non
plus. C'est simplement qu'il n'arrive pas à la convaincre, qu'il ne l'attire
pas et qu'il ne lui donne pas l'impression d'être ni très bon, ni très
réel. Et c'est quelque chose de terrible quand quelqu'un vous regarde et
pense que vous n'êtes pas bon, je le sais parce que beaucoup de gens
respectables me regardent de cette façon, mais cela doit l'être bien
d'avantage quand quelqu'un vous regarde et que son regard dit :
« Je ne sais même pas si tu es réel. » Cela doit être
bien plus effrayant. C'est terriblement dévastateur. Et cela rejoint la
question que nous posions tout à l'heure : Qu'est-ce qui est
réel ? Qu'est-ce qui n'est pas réel ? Qu'est-ce qui est
illusion ? Qu'est-ce qui est réalité ?
Ce n'est pas
exactement comme si elle disait : « Vos valeurs sont des
illusions, vos slogans ne sont qu'illusion, vos paroles ne sont
qu'illusion. » Mais dans un sens elle dit que ces gens en place
eux aussi sont une illusion, qu'ils ressemblent à une hallucination, qui
peut être effrayante quand elle se manifeste sous la forme de la police, ou
sous la forme d'un professeur très dur, ou de parents très sévères. A leurs
yeux les parents ont une qualité extrêmement archétypique, avec toute la
cruauté que cela suppose. Et pour un temps j'ai pensé quelque chose de très
traditionnel, très conservateur. Je me disais qu'il arrive toujours un
moment où l'on voit ses parents de cette manière ; l'adolescent
commence à se rebeller et les parents paraissent être ainsi. Je me rappelle
que cela a été le cas pour les miens. Et j'en ai discuté avec des gens de
mon âge, quarante-trois ans, et ils m'ont dit : « Oui, les
parents semblent toujours comme cela à leurs enfants, ils ont toujours
semblé comme cela. Les parents veulent ce qu'il y a de mieux pour leurs
enfants, ils les aiment, mais il faut que l'enfant se rebelle et pour qu'il
se rebelle il faut qu'il voie ses parents de cette manière. »
Mais j'ai senti
qu'il n'y avait pas que ce choc, que cette étape normale de la rébellion de
l'adolescent. Et certaines de ces filles m'avaient dit des choses très
précises, des choses que leurs parents leur avaient dites, concrètes et
détaillées. La plupart de ces gosses entraient de plain-pied dans leur
souvenir, sans le falsifier. Et ce que leurs parents leur avaient dit était
tout simplement destructeur et haineux, le genre de choses qu'aucun parent
ne devrait jamais dire, qui ne peut apporter aucun soutien. Il ne s'agissait
pas d'amour, ni d'essayer de fortifier un enfant ou de l'aider. Cela n'avait
rien à voir avec le fait de transmettre des valeurs traditionnelles. Cela
n'avait rien à voir avec le fait de transmettre la moindre valeur. Cela
n'avait rien à voir avec le fait d'aider un enfant à devenir adulte et à
prendre des responsabilités. L'une des choses que cette gosse m'a dites, que
son père lui avait répétée et répétée avec ce que je suppose être une sorte
de manque morbide de confiance dont les parents font toujours montre... Il
lui disait qu'elle finirait dans le ruisseau, qu'elle commencerait par
coucher avec n'importe quel hippy, qu'elle se ferait mettre enceinte,
qu'elle se ferait avorter et qu'elle finirait dans le ruisseau, physiquement
une ruine. Sans parler du nom de la famille... Bien sûr. C'est une façon
très pessimiste de voir son enfant et qui n'est réellement pas très
défendable. Mais à ce moment-là il a dit quelque chose qui est vraiment bien
pire et elle me l'a rapporté sur le même ton. Il a dit :
« Et s'il y a un type qui va te démolir, bon Dieu, je te
démolirai le premier ! » Et c'est quelque chose d'autre et
je l'ai questionnée là-dessus, je lui ai demandé ce qu'il entendait par là,
de le répéter. Et elle m'a dit ce que son père lui avait dit, parce que cela
lui faisait peur, et il lui avait parlé de choses qui étaient vraiment la
ruiner physiquement, de choses violentes qui pourraient lui
arriver. C'étaient vraiment des sortes de phantasmes de la part de son père,
on peut même dire une sorte de manière négative d'exaucer ses souhaits. Que
ce type la battrait. Pourquoi pas ? Après tout elle le mérite ! Et
son père lui a dit qu'il la battrait lui-même avant qu'elle ne quitte la
maison, que si elle essayait de s'enfuir il la battrait avant que quelqu'un
d'autre puisse le faire, et, quand il disait avant que quelqu'un d'autre
puisse la ruiner, il voulait bien dire la ruiner physiquement, d'une manière
tangible, littérale. Et ce n'est pas du tout la même chose.
PD : Ce que je crois c'est que le père sait que ce qu'il
prédit n'est pas réel, que cela n'arrivera très probablement pas, et il veut
que cela soit réel, il veut avoir raison...
PKD : Oui, il voudrait le rendre réel. II voudrait transformer
un souhait, un phantasme en un exemple vivant, littéral, et quand elle m'a
dit cela, je savais que son père le ferait, je savais qu'il ne plaisantait
pas et elle le savait aussi, elle savait qu'il le ferait. Je la crois. Et il
n'y a aucune justification possible pour ce genre de parents, il n'y en a
jamais eu et il n'y en aura jamais. On peut considérer cela, je suppose,
sous l'angle psychologique et faire des conjectures sur l'idéologie d'un
homme tel que celui-là, l'isoler et disserter sur un homme ou un père qui
aurait des phantasmes agressifs à l'égard de n'importe qui. Dans ce cas
précis c'est envers sa propre fille, une petite fille vraiment très fragile,
qu'il pourrait envoyer promener d'un coup de pied s'il le voulait. Comment
quelqu'un peut-il en venir à avoir ce genre de phantasmes et essayer de
manoeuvrer tout le monde alentour pour qu'il devienne vrai, pour que ce
qui n'était qu'un phantasme devienne la réalité, et que par conséquent ce
qui était la réalité pour sa fille devienne automatiquement un
phantasme ? Elle ne pourrait plus continuer à exister, elle serait
éparpillée dans la nature. Et les psychologues peuvent toujours parler de
désirs incestueux refoulés, de ces tendances de la formation d'une névrose
et toute cette merde. Et cela peut être une explication, parce que cela peut
n'être qu'une anomalie, on aura un certain pourcentage de gens qui sont
malades à n'importe quelle époque. On peut l'expliquer comme cela. Mais il y
a plus. Tout d'abord cette fille et sa famille habitent dans cette partie
chic du comté, ils appartiennent à une classe aisée. C'est dans ce cadre
qu'a grandi cette fille, elle en reçut la culture raffinée, on lui en a
inculqué les valeurs, elle a vécu ce genre de vie, et elle est maintenant
sur le point de devenir la victime de ce monde, à l'intérieur de ce
monde. Ce type n'est pas sorti de son monde aisé avec un couteau à la main
pour aller s'attaquer à quelqu'un dans les bidonvilles, il n'est pas allé
s'en prendre à un nègre, il s'attaquera à sa propre fille, et c'est à
l'intérieur de ce monde qu'elle se heurte à lui. Elle ne vient pas des
taudis, elle vient de cette société aisée.
PD : Ce ne serait donc pas un conflit de classes, mais plutôt
un conflit entre deux réalités ?
PKD : Oui, merci... Oui, c'est ça. Vous savez, s'il était allé
s'en prendre à un gosse du ghetto noir, on pourrait parler d'un conflit de
classes. La bourgeoisie contre le prolétariat ou quelque chose comme cela,
entre exploiteur et exploité. Mais cette fille fait partie de la classe
possédante, elle a sa propre voiture, elle va sur leur plage privée. Ce qui
se passe c'est un conflit entre deux réalités, pas entre deux classes, c'est
une lutte entre deux mondes, deux visions du monde, qui n'est pas basée sur
l'économie, qui n'est pas basée sur des valeurs traditionnelles
différentes. C'est le genre de coupure que l'on trouve chez un individu
schizophrénique donné, qui pense sa vie par rapport à un type donné de
valeurs et qui la vit en fonction d'un autre. Je connais par exemple une
femme qui fait aussi partie de cette société aisée et dont la pensée est
réactionnaire, haineuse, pleine de slogans et de préjugés et dont cependant
les actes sont chaleureux et humains, pleins d'amour et de générosité.
II n'y a aucun
lien entre ce qu'elle pense et ce qu'elle sent. Ce qu'elle sent elle le
fait. Et il n'y a aucun lien entre ce qu'elle fait et ce en quoi elle
croit. C'est un peu comme si elle disait : « Tu es quelqu'un
de tellement abominable que je souhaite que tu crèves, tiens voilà un panier
pour toi, plein de billets de cinquante dollars, j'espère que tu y
arriveras... » Je me demande comment elle peut vivre de cette
manière. Dieu merci, elle agit en fonction de ses sentiments et pas en
fonction de ses opinions. Ici la coupure existe au sein d'une seule
personne. Là c'est une coupure entre un père et sa fille. Parfois cela
existe entre différentes classes. Peut-être, je ne sais pas. D'une certaine
façon c'est une coupure entre la réalité et l'illusion, quelque chose qui à
un moment a été réel est maintenant en train de devenir une illusion. Une
autre chose qui est encore une illusion est lentement en train de devenir la
réalité. Nous sommes dans une période transitoire, il est très difficile de
dire ce qui est réel et ce qui ne l'est pas, parce que certaines des choses
qui sont réelles sont en train de devenir moins réelles, et certaines des
choses qui ne sont pas encore fortes, tangibles, qui paraissent comme des
rêves, deviennent à chaque instant plus tangibles, plus réelles.
Encore une fois,
ce qui me frappe, comme je le disais, c'est que nous sommes dans une période
transitoire. Cela ne ressemble pas à Alice passant à travers le
miroir : quand tout à coup la réalité disparaît et qu'une autre réalité
apparaît. A un moment elle parle à une dame et la seconde suivante elle se
trouve face à un vieux mouton. La réalité ne va pas s'évanouir comme la
lumière d'une lampe que l'on éteint. Actuellement tout semble encore sans
forme. Et je ne peux pas définir très clairement ce qui me semble réel et ce
qui me semble ne pas l'être. Et il vaut peut-être mieux ne pas essayer de le
formuler, ne pas essayer de l'exprimer avec des mots, ne pas essayer de le
capturer avec des formules verbales, abstraites, intellectuelles. Et
peut-être même est-ce là une des choses qui ont mis en danger, qui ont
freiné, bloqué certaines possibilités viables. C'est l'une des choses qui
font partie de ce monde qui est en train de mourir, ce désir, cette
tendance, cette obstination à transformer les choses en problèmes clairs
avec des réponses claires.
J'espère que
cette fille s'en tirera, qu'elle s'échappera, qu'elle parviendra à vivre le
genre de vie qu'elle souhaite. C'est tout ce que je peux dire. Je pense que
c'est quelque chose qui en vaut la peine.
J'aimerais
encore clarifier ce que j'entends par « période
transitoire ». Je ne veux pas dire, je crois, une espèce de
chaos, ou une sorte de marécage dans lequel les choses n'ont pas encore pris
forme. Comme si le vieux monde avait fondu pour n'être plus qu'une flaque et
que le nouveau n'ait pas encore de forme. Je veux dire que d'une certaine
manière je ne le ressens pas comme si en sortant de chez moi je voyais un
grand nombre de nuages gris entourant les immeubles et que je suppose que
ces nuages vont se rassembler et qu'au lieu de ces immeubles d'appartements
que quelqu'un possède et loue, il y aura de larges espaces qui
appartiendront à tous. Ce qui me frappe c'est que les choses, les valeurs
actuelles, toutes sortes de catégories, tangibles, abstraites,
métaphysiques, empiriques, me paraissent simultanément bonnes et mauvaises,
valables et sans valeur, répugnantes et désirables. En d'autres termes,
c'est une sorte de schizophrénie automatique pour tout le monde, si l'on
assume ce que tout le monde ressent et ce que je ressens. Par exemple je me
trouve en train de faire quelque chose, sans trop y penser, naturellement,
quelque chose qui n'est pas calculé, qui me paraît spontané, qui me paraît
la chose à faire et brusquement je découvre que je peux la considérer, si
quelqu'un m'y pousse, comme mal, comme quelque chose que je ne devrais pas
faire. Je le vois, je le sens. C'est mal. Je ne peux même pas le défendre si
l'on me montre que c'est mal. Je ne peux pas le justifier. Je ne peux
trouver aucun argument rationnel, à moins de recourir hypocritement à un
jargon idéologique, pour en minimiser la noirceur. C'est mal et je sais que
c'est mal. Et pourtant, peut-être une seconde plus tard, quelqu'un d'autre
m'assurera que ce que j'ai fait est bien et je sentirai qu'effectivement
c'est bien, c'est spontané, c'était ce qu'il y avait de mieux à faire. Je ne
peux plus rien y voir de mal, je me souviens que l'on m'a montré que c'était
mal mais cela ressemble à une hallucination. Je me souviens que cela avait
l'air mal, que l'on a dit que c'était mal, mais je ne peux pas expliquer
pourquoi cela pouvait bien être mal, je ne peux pas me le rappeler
suffisamment clairement, d'une façon cohérente, pour pouvoir le formuler,
pour pouvoir stigmatiser le sentiment que j'ai d'avoir bien fait. Et la pire
des possibilités est que les deux choses peuvent arriver en même
temps...
© Patrice DUVIC, publié avec son aimable autorisation.