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Dans sa rubrique
Diagonales du no 231 de FICTION, daté de mars 1973,
Serge-André BERTRAND (pseudonyme d'Alain DORÉMIEUX) donnait son avis
sur Au bout du labyrinthe :
Chez Robert Laffont (« Ailleurs et Demain »), est sorti, comme je l'avais précédemment annoncé, Au bout du labyrinthe de Philip K. Dick. Ce roman pose à nouveau pleinement le cas de Dick, créateur génial selon les uns, sombre fumiste selon les autres (en réalité ni l'un ni l'autre, mais simplement un type écrasé par ses obsessions, luttant pied à pied avec elles en se livrant désespérement à l'acte d'écrire, seule catharsis capable de préserver son intégrité mentale). Pour ma part, je considère que Dick a atteint au cours de sa carrière trois sommets : Docteur Bloodmoney, le Dieu venu du centaure et Ubik, trois romans où il assume pleinement ses fantasmes et les transcende en une oeuvre littéraire sublimatrice. Dans ces livres, on a l'impression qu'il liquide en bout de course sa surcharge de névroses, qu'il s'en « purge », ce qui lui permet de boucler la boucle et de donner une oeuvre d'apparence achevée : d'où le côté rond, fini, poli, de l'intrigue qui se referme sur elle-même comme un cercle parfait. Dans d'autres romans au contraire, Dick au lieu de dominer jusqu'au bout ses obsessions, semble perdre pied en cours de route et se trouver dominé par elles. Dès lors la structure du roman éclate, et toute sa trajectoire ultérieure est un parcours un peu hésitant et chaotique où Dick fait des feintes et des esquives, en colmatant sans arrêt des brèches, pour tenter d'endiguer ce déchergement émotionnel qu'il ne parvient plus à contrôler. C'est ce qui s'est passé apparemment avec Au bout du labyrinthe, roman écrit en état de crise, à une période où Dick était arrivé au bout du rouleau. Tous les schémas de base qui sont mis en place au cours des premiers chapitres appartiennent bien à une mécanique spécifiquement dickienne, et le lecteur averti peut jalonner sa progression selon les points de repère bien établis. Mais très vite quelque chose se détraque, la mécanique se déglingue et tout se met à tourner de travers. Pourtant ce qui est proprement passionnant, et pathétique, c'est de sentir — presque à chaque page — Dick qui s'efforce de raccorder les fils et de relancer l'intrigue, comme s'il s'agissait bien toujours d'un roman de SF ordinaire, comme si ce n'était pas en réalité le théâtre tumultueux de son subconscient qui se déverserait sur le papier. D'où l'aspect fascinant de ce livre (qui objectivement, sur le plan de la construction dramatique, est « raté » — entre guillemets j'y tiens — c'est-à-dire ne correspondant pas à la norme de la « réussite » en matière de technique narrative). Ce qui touche, ce n'est plus l'histoire avec tout ce qu'elle a de fluctuant et de heurté, c'est l'homme qui est en train, aux prises avec tout ce qu'il a dans la tête, d'essayer de raconter cette histoire. Les personnages sont des marionnettes dont Dick tire les ficelles ; mais ce ne sont pas ces personnages qui comptent, c'est précisement la façon dont il les manipule. C'est aussi le fait — de plus en plus flagrant à mesure que le roman s'avance — que tous ces personnages, hommes ou femmes, sont des projections de son moi, et que chacun d'eux exprime, à chaque moment donné, le bouillonnement intime que Dick a en lui. Angoissés, paniqués, incapables de faire face, incapables même de s'accepter, ils véhiculent tous une sorte d'appel au secours que l'auteur lance à travers eux, ce qui leur donne en définitive la palpitation de la vie — bien qu'ils ne soient, au regard de l'art du roman, que des silhouettes de carton-pâte. Autrement dit, on a vraiment là l'exemple typique du livre à lire au second degré. Avec son scénario pour bande dessinée, son schématisme, sa linéarité, Au bout du labyrinthe peut être interprété comme un vulgaire Fleuve Noir. Mais, dès lors qu'on prend en considération l'être humain qui se livre dans ces pages au dehors dérisoires, le roman prend sa véritable signification : celle d'un cri, jeté du fond d'un gouffre où on est en train de sombrer.
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Dernière modification le 02 octobre 2002 à 15h41.
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