L'esprit étranger
Avis et analyse de Julien Mahoudeau


Note préliminaire :
     Mon cyberfrangin Julien Mahoudeau avait mis en place un site Web (appelé SIVA) consacré à l'analyse des nouvelles de Dick. De plus en plus pris par d'autres tâches qu'il considère (on se demande bien pourquoi ;-) ) plus prioritaires, il n'a pu développer le site comme il le souhaitait et m'a proposé de reprendre dans Le ParaDick le travail déjà effectué, ce que j'ai accepté avec une joie non dissimulée !
Aiguillage :
     La fiche de la nouvelle analysée.
     La liste des cinq nouvelles analysées par Julien.
     Le glossaire dickien établi par Julien (dans lequel renvoie la majorité des liens ci-dessous)

Appréciation personnelle

     Pour moi, il s'agit d'une nouvelle passionnante à plus d'un titre : extrêmement courte (2 pages et 1/2), elle synthétise tout le génie et le style inimitable de Dick, en même temps qu'un  thème qui lui est parfaitement propre.

Analyse

    Cette histoire extrêmement courte de PKD mérite un traitement un peu particulier.

    D'abord parce que sa très courte taille empèche une analyse qui suivrait le court du récit, sous peine de tomber dans un simple plagiat de l'histoire. Il me parait donc préférable d'en retirer les lignes forces en quelques grandes étapes. Pour cette analyse plus que pour toute autre, il convient donc de bien avoir le récit en tête.

    Ensuite parce qu'on y retrouve une alchimie parfaite de tout ce qui fait le génie spécifique de Dick : un style d'écriture, une histoire prenante, un thème, et un cynisme farouche.

    Enfin parce que c'est la dernière nouvelle publiée du vivant de l'auteur. Mais publiée ne veut pas dire « écrite » par Dick. Gardons-nous bien d'y voir le dernier texte de l'auteur et de le considérer comme un testament du point de vue des nouvelles.

LE STYLE

    Cette histoire est construite suivant les principes habituels de Dick :

    Le rythme : la situation est introduite très vite (l'erreur de trajectoire, la responsabilité et la mort du chat), et évolue suivant le même rythme (la livraison du vaccin, l'inspection du vaisseau, puis la révélation de la situation : le héros va passer deux ans tout seul dans le vide de l'Espace, n'ayant ni batterie ni unité de rechange pour sa chambre de sommeil).

    Le style narratif : court, précis, sobre, mais terriblement efficace. Un autre élément typique de Dick est présent:

    Le personnage y est individualisé en quelques traits : Bedford est sûr de lui, presque pédant et imbu de sa personne; Il ne se trompe jamais, et on l'a humilié aux yeux d'un étranger. Il n'a absolument aucun complexe à tuer le chat, et à s'endormir en paix. Il se fout de savoir ce que pensent les étrangers, il n'est là que pour faire son boulot. Ainsi, Dick nous décrit un personnage obtus et fermé qui m'apparait comme une sorte de simple mécanique sans autre conscience que la conscience de soi. En décollant de cette foutue planète, après avoir menti au Méknosiens, ne sourit-il pas de l'air de celui qui à fait un bon coup et qui est fier de lui ?


LE THÈME

    Le véritable thème est en fait ici la description d'un personnage qui se confronte à une situation qui va l'obliger à une reconstruction psychique complète pour survivre dans un nouvel univers : deux ans de voyage spatial en pleine conscience. Autrement dit deux ans d'isolation cérébrale absolue, deux ans de pensées retournées sur elles-mêmes, bref deux ans pour devenir psychotique.

    On peut donc y voir une illustration particulière du thème très classique du basculement soudain de l'univers psychique et psychologique du personnage, ce qu'on peut appeller une brèche. Ainsi, Dick ne traite-il pas ici de la folie potentielle, mais de la construction mentale volontaire des conditions de survie dans un nouvel environnement. De manière encore plus proche, il faut signaler que ce thème est exactement le même que celui traité de manière fort différente dans la nouvelle Le voyage gelé.

    Ainsi le personnage va-t-il tout naturellement procéder à une recherche d'éléments structurants, et tenter de créer des repères. Bedford va décider de structurer sa vie sur la routine quotidienne, dont le premier élément est le repas. Il va passer autant de temps que possible à préparer, manger et apprécier ses repas, en essayant toutes les combinaisons possibles.

    Mais c'était sans compter sur le cynisme de Phil : la réserve est pleine à craquer de boites de patée pour chat, toutes au même goût...


 

    En conclusion, il est cependant très difficile de dégager un message de ce texte.  Le véritable thème est-il celui de la difficulté de la confrontation avec son propre esprit, c'est-à-dire de la connaissance de soi? L'Esprit étranger, qui désigne le chat pour le personnage, est-il le sort qui se venge et puni l'esprit étroit ?

    Et d'abord, y a-t-il lieu de chercher de telles explications ?...


  © Julien Mahoudeau
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