Un mot sur les traductions

     Traduttore, traditore disent nos voisins transalpins (les allergiques à la langue de Dante consulteront les pages roses du Petit Larousse pour en découvrir la signification textuelle : Traducteur, traître).
En l'occurence, en feuilletant Nouvelles 1952-1953 alors fraîchement publié, je suis tombé sur la dernière page du Père Truqué, et je me suis dit « Ce n'est pas la même histoire que j'ai lue » . J'ai alors décidé de comparer. Voici donc la fin de la plus célèbre nouvelle de notre auteur, donnée dans deux traductions.

in Le Père Truqué
(traduction Alain Dorémieux)
in Nouvelles 1952-1953
(traduction revue et harmonisée par Hélène Collon)
     Enfin les soubresauts du père truqué s'arrêtèrent, et il n'y eut plus que le bruissement des bambous dans le vent de la nuit.
Charles sortit des bambous et retrouva dans l'allée Tony et Bobby, qui s'avançaient prudemment.
— Qu'est-ce que vous avez fait ? chuchota-t-il.
Bobby montra le baril de pétrole qu'ils avaient trouvé dans le garage.
— Chez mes parents, en Virginie, on s'en servait pour les moustiques.
— On a vidé le pétrole dans le tunnel fait par la bête, expliqua Tony d'une voix mal assurée. Et on a mis le feu.
Bobby, précautionneusement, tâta du pied la dépouille intacte et contorsionnée du père truqué.
— Il est mort presque en même temps que la bête.
— Les autres aussi, alors? fit Charles.
Ils allèrent dans les bambous. L'embryon gisant ne bougea pas quand Tony lui enfonça un bâton dans le corps.
— Pour tous les autres, autant être sûr..., dit-il avec un sourire féroce. Va chercher le pétrole.
Bobby s'éloigna.
— Cette bête..., souffla Charles.
— Tu cherches d'où elle venait ? Peut-être de la terre, peut-être qu'elle a dormi très très longtemps et qu'elle s'est réveillée... Peut-être qu'elle vient d'ailleurs.
— Tu veux dire de la planète Mars ?
— Je ne sais pas... » Tony regarda autour de lui. « Il vaut mieux qu'on ne le sache jamais. »
Il fit demi-tour.
— Viens chercher les allumettes.
Déjà il s'éloignait; Charles se hâta de le suivre. Ils marchèrent sans parler au clair de lune.
     Enfin le père truqué cessa tout mouvement. On n'entendait plus que le frou-frou des bambous caressés par le vent nocturne.
Charles se leva gauchement et regagna l'allée. Peretti et Daniels s'avançaient prudemment, les yeux écarquillés.
« Ne t'en approche pas, l'avertit Daniels d'une voix impérieuse. Elle n'est pas encore morte. Apparemment, ça prend un bout de temps.
— Qu'est-ce que vous avez fait? » chuchota-t-il.
Daniels posa le baril de pétrole qu'il tenait en laissant échapper un soupir de soulagement. « On a trouvé ça dans le garage. Chez mes parents, en Virginie, on s'en servait pour les moustiques.
— Daniels a vidé le pétrole dans le tunnel de la bête, explique Peretti, encore tout impressionné. C'est lui qui a eu cette idée. »
Daniels tâta du pied la dépouille contorsionnée du père truqué. « Il est mort presque en même temps que la bête.
— L'autre va sûrement mourir aussi » , ajoute Peretti, qui alla examiner sous les bambous les larves qui poussaient çà et là. Il enfonça le bout d'un bâton dans la poitrine de la chose Charles, mais celle-ci ne bougea pas. « Mort.
— Autant aller jusqu'au bout » , dit Daniels d'un air sérieux. Il repartit vers le garage, mais revint bientôt en traînant le lourd baril de pétrole. « Il a laissé tomber des allumettes dans l'allée. Va les chercher, Peretti. »
Ils s'entre-regardèrent.
« Ouais, t'as raison, répondit l'interpellé.
— On devrait quand même prendre le tuyau d'arrosage, intervient Charles. Au cas où le feu s'étendrait.
— On y va » , conclut impatiemment Peretti, qui s'éloignait déjà.
Charles lui emboîta prestement le pas et ils se mirent en quête des allumettes au clair de lune.
À titre de référence, le texte original
in Tomorrow's children
ed. Isaac Asimov, London, Futura Publication Unlimited, 1976.

sympathiquement fourni par Umberto Rossi.
     At last the father-thing ceased to stir. There was only the faint rustle of the bamboo in the night wind.
Charles got up awkwardly. He stepped down onto the cement driveway. Peretti and Daniels approached, wide-eyed and cautious. "Don't go near it", Daniels ordered sharply. "It ain't dead yet. Takes a little while."
"What did you do?"Charles muttered.
Daniels set down the drum of the kerosene with a gasp of relief. "Found this in the garage. We Daniels always used kerosene on our mosquitoes, back in Virignia."
"Daniels poured kerosene down the bug's tunnel,"Peretti explained, still awed. "It was his idea."
Daniels kicked cautiously at the constorted body of the father-thing. "It's dead, now. Died as soon as the bug died."
"I guess the others'll die too,"Peretti said. He pushed aside the bamboo to examine the larvae growing here and there among the debris. The Charles-thing didn't move at all, as Peretti jabbed the end of a stick into its chest. "This one's dead."
"We better make sure,"Daniels said grimly. He picked up the heavy drum of kerosene and lugged it to the edge ot the bamboo. "It dropped some matches in the driveway. you get them, Peretti."
They looked at each other.
"Sure,"Perreti said softly.
"We better turn on the hose,"Charles said. "To make sure it doesn't spread."
"Let's get going,", Peretti said impatiently. He was already moving off. Charles quickly followed him and they began searching for matches, in the moonlit darkness.

     Edifiant, non ?
     Je vois deux hypothèses explicatives:
     La gentille :
Alain Dorémieux et Hélène Collon n'ont pas travaillé sur la même version du texte. J'ignore s'il y a eu plusieurs versions. Mais ce n'est pas impossible, un auteur apportant fréquemment des retouches à son texte lorsque celui-ci reparaît en volume (anthologie, recueil...).
     La « méchante » :
Alain Dorémieux a trahi le texte original. Il a déjà avoué (dans la préface de Délires Divergents) avoir ajouté une phrase finale de son cru lors de la première traduction. Il en était donc capable...
Cette deuxième hypothèse serait la plus probable d'après Pierre-Paul Durastanti. Plus exactement, « la version française aurait été tripotée » , pas forcément par Dorémieux, d'ailleurs. Hélène Collon a abondé dans ce sens en me rappelant qu'« À l'époque où A. Dorémieux a traduit ce texte, on ne mettait pas le même accent qu'aujourd'hui sur la fidélité à l'original. On se croyait obligé d'adapter pour le lecteur français. »
[Les propos reproduits ici, avec l'aimable autorisation de leurs auteurs, ont été envoyés au webmaître par courrier électornique en mai et juin 1998]
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