Bibliographie commentée par l'auteur
(romans publiés après 1965)

     Les propos ci-dessous ont été tenus par Philip K. DICK à Gregg RICKMAN qui les a retranscrits dans son livre Philip K. Dick : in his own words. Des extraits en ont été publiés dans Science-Fiction 7/8, extraits traduits par Pierre-Paul DURASTANTI.
Pierre-Paul est le détenteur des droits sur cette traduction française et m'a fort aimablement autorisé à la publier.

     Ceci est la deuxième et dernière partie de la bibliographie commentée, et concerne les romans publiés après 1965. Pour les romans publiés avant 1966, voir la première partie.



  BRÈCHE DANS L'ESPACE

     Oh ! l'échec total. Une horreur ! J'ai écrit ce roman alors que j'étais encore marié avec Anne... Ace en avait acheté tellement qu'il leur fallait des années pour les sortir.


  EN ATTENDANT L'ANNÉE DERNIÈRE

     C'est un roman que j'estime très, très bien écrit. Je l'aime vraiment beaucoup, et j'admire certains aspects de Mussolini, aussi m'a-t-il servi de base pour le personnage de Gino Molinari... Je crois que Mussolini était un très grand homme. Sa tragédie est d'être tombé sous le charme d'Hitler, comme beaucoup d'autres alors, d'ailleurs. D'un côté, on ne peut pas le lui reprocher.


  LES MACHINES À ILLUSION

     J'ai rencontré (Ray Nelson) en 1964 alors que j'habitais la région de la Baie et nous avons écrit ensemble ce roman, Les Machines à illusion, en manière de plaisanterie, juste histoire de rigoler. Il écrivait sa partie, j'écrivais la mienne, et nous avons eu beaucoup de plaisir à le faire ; c'était une occupation. Il joignait à son envoi des photos de scarabées, on aurait dit ces images que l'on trouve dans les paquets de chewing-gum, et dès qu'on ouvrait l'enveloppe, il en tombait partout. C'était vraiment, vraiment extra. Il a beaucoup d'humour.


  À REBROUSSE-TEMPS

     C'est le premier roman que j'ai écrit après avoir rencontré Nancy, qui est une personne très, aimante, très belle, très douce et très tendre ; elle a insufflé dans mes écrits un sentiment nouveau envers les autres, différent de tout ce que j'avais éprouvé auparavant. Sa soeur lui ressemble en tout point. J'aimais beaucoup sa soeur, et celle-ci nous aimait tous les deux. Avec elles, la beauté et la tendresse ont fait leur entrée dans mon existence et changé mon attitude envers les autres et envers la vie. J'ai été très heureux, à ce moment. Mais je craignais que notre mariage ne dure pas ; j'avais déjà essuyé trois échecs. Et comme je l'avais prévu, il n'a pas duré... J'ai une capacité remarquable pour prévoir ce genre de choses.


  LES ANDROÏDES RÊVENT-ILS DE MOUTONS ÉLECTRIQUES ?

     Ce livre a été écrit alors que je connaissais une période de stabilité exceptionnelle. Nancy et moi avions une maison, un enfant, et pas mal d'argent. Tout allait bien. A ce moment-là, j'opposais la chaleur de Nancy et la froideur des gens que j'avais connus auparavant. Je commençais à élaborer ma théorie de l'humain contre l'androïde, cet humanoïde bipède qui n'est pas d'essence humaine. Nancy m'avait révélé, pour la première fois, quel pouvait être le portrait d'un être humain vrai : tendre, aimant, vulnérable. Et je commençais donc à opposer cela à la façon dont j'avais grandi et été élevé.


  UBIK

     J'avais entamé Ubik de manière très conventionnelle, et tout à coup je me suis rendu compte de ce défaut, alors j'ai paniqué, j'ai décidé de risquer le paquet sur tout ce que je pouvais imaginer, et j'ai eu beaucoup de pot. J'ai eu du pot, car j'avais lu le Livre des Morts tibétain qui m'avait donné quelques idées en matière de théologie. Je disposais donc du matériau adéquat. Mais il s'agissait d'un effort plutôt désespéré pour insuffler un peu d'originalité dans un livre dont le concept initial n'était pas original. J'écrivais toujours pour Larry Ashmead (de Doubleday), et il a beaucoup aimé Ubik. De tous les livres qu'il m'a pris, ça a même été son favori... Cela dit, le style commence à révéler un certain désespoir, la prise de conscience d'un début de répétition systématique et une tentative pour faire du neuf. Ce qu'on perçoit dans Ubik, c'est une certaine fossilisation de mon écriture : je commençais vraiment à me répéter. Il devenait évident que (...) je n'avançais plus. Ubik a été une tentative désespérée pour progresser.


  AU BOUT DU LABYRINTHE

     Au bout du labyrinthe est un véritable coup de poker pour faire du neuf. Mais il n'y a rien de neuf là-dedans. On y répète des tics familiers, comme les points de vue multiples et le thème épistémologique de la réalité contre l'irréalité. Il marque le dernier soupir de ces trucs qui étaient devenus mes marchandises en stocks, mes ficelles. Je ne pouvais plus continuer. J'avais épuisé toutes les possibilités du genre de fiction que je pratiquais. Après Au bout du labyrinthe, il ne pouvait en aucune façon y avoir de nouveau roman fondé sur les mêmes prémices. Il fallait faire du neuf.


  MESSAGE DE FROLIX 8

     Un livre à jeter. Je ne l'ai écrit que pour l'argent. Il n'avait pas d'autre ambition que d'être un Ace Books de plus. J'étais sous contrat avec eux, et ce livre marque une régression, tout comme Les Marteaux de Vulcain, dont il est l'équivalent... A ce moment-là, je me désespérais de me voir me pétrifier, me fossiliser dans mon propre domaine. Ma structure, mes personnages se fossilisaient. Comme tout le reste.


  LE GUÉRISSEUR DE CATHÉDRALES

     Je crois l'avoir écrit après Ubik. J'avais griffonné quelques notes en vitesse pour ce livre, et je me suis lancé. Je n'avais pas d'intrigue, rien. Ça me rappelle beaucoup la façon dont j'avais écrit la deuxième moitié de Mensonges et Cie... On aurait dit que je faisais semblant. Que j'essayais d'éblouir avec un feu d'artifice. Certains l'ont aimé, d'autres pas. Ursula Le Guin l'a aimé ; John Brunner a vu qu'il m'avait échappé. Il m'a dit, regardez, ce livre vous a échappé. Et il avait tout à fait raison. Je n'avais pas la moindre idée de ce que j'allais dire d'une page sur l'autre. Bon, c'est aussi le cas d'une bonne part de mes écrits. Il se trouve simplement que Le Guérisseur de cathédrales montre pour la première fois que je travaillais sans idée préconçue.


  LE BAL DES SCHIZOS

     C'est une vieillerie, En toute honnêteté, je ne sais plus quand j'ai écrit ce livre. Le manuscrit a longtemps traîné au fond d'un tiroir. Ted White, qui en connaissait l'existence, m'a demandé de le lui donner pour Amazing. Il me semble, d'après les éléments qui le composent, qu'il date des années 50... Vous voyez, avec ce livre, je n'avais pas l'intention de faire de la science-fiction pure. C'était un de mes hybrides... un livre qui devait réconcilier science-fiction et littérature générale... où figureraient des éléments relevant de la science-fiction, et d'autres de la littérature générale... Il devait y avoir un continuum, des Chaînes de l'avenir au Bal des schizos et à Confessions d'un barjo, un continuum ininterrompu sans frontières entre ces trois romans. J'essayais ainsi d'unifier mes deux modes d'écriture, ma science-fiction et ma littérature générale, en concevant un livre susceptible de jeter un pont entre les deux. Mais je n'y suis jamais parvenu. Glissement de temps sur Mars a représenté une nouvelle approche dans ce sens, un projet d'hybride dans lequel je pourrais mettre en scène de vrais personnages, mais dans un contexte de science-fiction. Et ça n'a pas été très bien accueilli.


  COULEZ MES LARMES, DIT LE POLICIER

     Coulez mes larmes a été écrit en 1970, durant ce que j'espère avoir été la pire période de mon existence. J'espère que je n'aurai jamais à revivre de pareils moments. Nancy m'avait quitté tandis que je travaillais sur le roman, que j'ai fini, bien qu'elle soit partie en emmenant notre fille. Je me suis retrouvé tout seul dans ma grande maison, avec ses quatre chambres, ses deux salles de bains, et j'ai essayé de terminer ce livre. Il a viré à l'autobiographie : je souffrais tellement du départ de ma femme que j'ai fait mourir la soeur du général de police, et le chagrin et la solitude immenses qu'il ressent proviennent, en fait, du sentiment de perte que j'éprouvais à l'égard de Nancy. Dés lors, j'écrivis d'un point de vue autobiographique, pour la simple raison que je n'arrivais pas à exclure ces éléments autobiographiques. Rien de tel avec Confessions d'un barjo : c'est autobiographique parce que j'en avais décidé ainsi. Dans le cas de Coulez mes larmes, je ne pouvais pas m'asseoir pour écrire ce roman en négligeant les éléments qui affectaient ma vie. Ce qui se produisait s'est frayé un passage jusque dans le livre, et l'a dominé. Et j'ai écrit, une après l'autre, plusieurs versions de la fin de ce roman, que j'ai récrites, et récrites encore, afin de coucher sur le papier les émotions que m'inspirait le départ de Nancy, car je l'avais vraiment aimée. Je crois que c'est la personne la plus merveilleuse que j'aie jamais connue. Je voulais exprimer la sensation qu'on éprouve quand on perd quelqu'un qu'on aime tant. Je n'arrêtais donc pas de peaufiner cette fin, encore et encore, et quand est venu le moment de taper le manuscrit définitif pour l'envoyer, je n'en ai pas eu la force, J'ai bien dû faire six versions différentes de ce roman avant de m'estimer satisfait. J'ai mis le manuscrit de côté et je n'y ai plus retouché avant 1973, lorsque je suis venu habiter ici, dans Orange County. J'avais vécu au Canada, je m'installais ici, et le manuscrit était dans le coffre-fort de mon notaire. Je lui ai demandé de me l'envoyer et j'ai écrit la version définitive. En tout, en fait, il y en a bien eu onze. Onze versions différentes... J'y ai effectué quelques retouches de style, ajouté quelques réflexions montrant mon aversion pour la drogue, car j'avais désormais une profonde répugnance envers la drogue, mais dans sa plus grande part le livre était écrit. J'ai même découvert que j'avais entamé la frappe du manuscrit définitif ; les cent premières pages étaient prêtes, et je ne me rappelais même pas les avoir retapées. J'ai alors essayé d'unifier cette dernière version, mais j'ai laissé tomber. J'étais vraiment trop crevé.


  DEUS IRAE

     Bon, j'ai commencé ce livre-là en 1964, et j'ai été incapable de le poursuivre, pour la simple raison que je ne connaissais rien au christianisme. J'ai fait appel à Roqer Zelazny, qui est bien plus instruit et plus intelligent que moi, et nous y avons plus ou moins travaillé au cours des années suivantes. On l'a laissé mijoter, en quelque sorte, Roger en écrivait un bout, qu'il m'envoyait, et j'en écrivais un autre bout, que je lui renvoyais. Nous n'avions jamais pensé le terminer. Et tout à coup, le jour est venu où Roger en a fait une portion si longue qu'il ne m'est pratiquement resté plus rien à faire, sinon la fin, et je l'ai posté. C'était donc plus ou moins un boulot d'amateur que nous continuions juste pour le plaisir. Une occupation, Nous étions déjà de très bons amis et c'était amusant d'écrire comme ça. C'était comme de s'envoyer et de se renvoyer sans cesse la même lettre.


  SUBSTANCE MORT

     J'avais vécu au contact de la drogue et de son milieu après le départ de Nancy en 1970, durant toute l'année 1971 et le mois de janvier 1972. Mais je suis parti pour le Canada en février 1972, puis revenu à Orange County, et je ne faisais plus partie de ce milieu. Je voulais coucher sur le papier le souvenir des gens que j'y avais connus. J'ai écrit ce livre pour conserver ce souvenir et pour dénoncer la drogue, car je l'avais vue tuer tant de gens que je me consacrais désormais à prêcher l'évangile de ses périls. J'avais vu mourir trop de monde... Je crois que j'ai réussi à évoquer ces personnages avant qu'ils ne s'effacent de ma mémoire. C'est le principal. J'ai écrit ce livre dès que cela a été possible, aussitôt après avoir quitté le milieu de la drogue. J'ai commencé à décrire ces gens dès que j'ai pu. J'avais prévu de le faire dès mon installation au Canada — une semaine après avoir fui ce milieu, j'essayais déjà d'évoquer ses membres. La véritable question était : pouvais-je les décrire avant de perdre les modulations de leur voix ? Et je crois y être parvenu. Aujourd'hui, ça me serait impossible. Quand je relis Substance Mort, ils reviennent à la vie sous mes yeux. Je me réjouis d'avoir eu le temps de les évoquer ainsi. Ils sont tous morts, à présent. Tout le monde n'éprouve que dégoût à l'égard de Donna. Mais la fille sur laquelle j'ai pris modèle — il ne s'agit guère que d'une interprétation créative — ne m'inspirait qu'admiration. Je n'ai jamais méprisé son incroyable duplicité. Elle vivait dans une strate de la société, dans un milieu, où la fourberie était nécessaire pour survivre. En d'autres termes, si elle n'avait pas su se montrer aussi fourbe, elle serait morte. Il ne se serait pas passé quelques heures avant qu'on ne la tue. C'était une dealeuse de came. Elle était dealeuse et indic en même temps. Elle avait dû se faire choper... et se voir proposer l'option de devenir indic ou d'aller en tôle. Et elle avait choisi de devenir indic. Tout ça devait rester secret. Elle se trouvait dans une position très difficile. Elle n'avait que dix-huit ans. Elle possédait trois identités différentes : elle avait un boulot régulier et elle vivait encore chez ses parents. Il lui fallait cacher à tout le monde qu'elle dealait. Elle était sans doute camée aussi, à y repenser, elle devait être accro à l'héroïne. Je ne le saurai jamais. Les camés à l'héroïne ne viennent pas vous dire : bonjour, je suis accro à l'héro. Apparemment, elle trempait aussi dans des vols à main armée, avec un gang, pour trouver du blé pour sa dope. Elle menait une vie très compliquée, et je ne vois pas dans quelles circonstances elle aurait pu faire preuve de franchise... Mais je l'aimais beaucoup... Son petit ami est venu me voir un jour et il m'a dit : tu ne la reverras jamais, tu ne sauras jamais où elle est allée, elle veut couper toutes ses attaches et commencer une nouvelle vie. Et merde, c'est ce qu'elle a fait ! Elle s'est évanouie dans la nature... C'était la meilleure amie que j'aie jamais eue, et je doute que quiconque en ait jamais de pareille.
     Mais j'ai pu mettre tout ça par écrit avant que ces souvenirs ne s'estompent. Et beaucoup de gens du milieu de la drogue que j'ai rencontrés et qui avaient lu le livre m'ont dit que c'était le seul roman qu'ils aient trouvé qui évoque aussi bien les drogués. Ils sont assis, et ils parlent, sans cesse, de rien. On peut avancer la bande de quatre heures, et ils discutent toujours du même sujet. Aucun progrès. Ils ne font jamais le moindre progrès.


  SIVA

     Siva vient ensuite. Mais un autre mariage avait échoué, mon mariaqe avec Tessa. J'avais écrit Substance Mort tandis que nous étions mariés — d'ailleurs, elle touche la moitié des droits d'auteur de Substance Mort. J'avais encore perdu une femme et un enfant. Et une fois encore, les éléments autobiographiques se sont insinués dans le livre, comme dans Coulez mes larmes. Mais cette fois-ci, j'ai reconnu que je ne pouvais pas les exclure. Inutile d'essayer, c'était sans espoir. Aussi, plutôt que de les combattre, je les ai accueillis volontiers, et j'ai écrit un roman délibérément autobiographique. Il rappelle donc davantage Confessions d'un barjo, où l'autobiographie fait son entrée par la grande porte plutôt que de se glisser par l'escalier de service. En fait, j'avais écrit une version conventionnelle de Siva* qui n'était pas du tout autobioqraphique, et j'ai préféré adopter à la place une forme éloignée du roman, presque un journal de ma vie, le compte rendu de mon existence. J'ai eu cette idée avec l'introduction à The Golden Man** dans laquelle je racontais ma vie ; je me suis alors dit que je pouvais étendre ce procédé à tout un roman. Ce n'est donc qu'après avoir écrit cette introduction que j'ai songé à appliquer ce procédé à Siva, qui en dérive ainsi véritablement... Cette introduction est un de mes premiers textes qui ne soit pas de la fiction, le n'en avais pas écrit tant que ça. J'ai vu que je pouvais faire un roman en usant de ce mode discursif, libre, familier. Une intrigue discursive, une structure libre, et un style familier. Pour parler de moi, de mes amis. C'est ainsi que j'ai écrit Siva.


* Cette « version conventionnelle », sortie l'an dernier aux USA sour le titre Radio Free Albemuth, est à paraître en « Présence du Futur ». (N.d.T.) [il s'agit bien sûr de Radio Libre Albemuth — Note du Webmaître]
** Cet essai sert de préface aux Dédales démesurés de Philip K. Dick, réunis par Alain Dorémieux chez Casterman. (N.d.T.)

  L'INVASION DIVINE

     Un pur plaisir. J'avais toutes les données en tête. J'avais mené mes recherches sur le judaïsme, le sujet me passionnait et j'ai écrit le roman sans le moindre effort, avec aisance, avec plaisir, en en appréciant chaque minute. C'est un roman léger, optimiste, plein de vie ; j'étais alors très, très heureux. Je sentais que j'avais réussi Siva — il n'était pas encore paru, mais mon agent m'avait dit qu'il le trouvait bon, bien écrit, et je me sentais bien dans ma peau. Pour la première fois de ma vie, je me retrouvais capable de vivre seul et d'apprécier ma solitude. Je n'ai pas écrit L'invasion divine par désespoir d'être seul, mais en plein accord avec cet isolement. Je vivais seul, et je n'en souffrais pas. Rien ne venait me déranger...
     C'est la seule suite que j'aie jamais écrite. Mais c'est une suite approximative... qui se déroule deux cents ans après Siva. Après réflexion, je me suis dit que si je faisais revenir le Sauveur en 1983, ça paraîtrait plutôt stupide. il me faudrait mettre le bouquin au rebut d'ici deux ans. Alors je l'ai situé à deux cents ans dans l'avenir, avec à l'évidence de nouveaux personnages, puisque tous ceux de Siva étaient désormais morts... L'étude du judaïsme qui le sous-tend est très bonne. Je ne me suis pas contenté de m'appuyer sur un survol sans profondeur ; je l'ai faite moi-même. Au point que j'ai pensé me convertir au judaïsme. Je m'y étais tellement investi, je n'ai pensé à rien d'autre pendant deux ans...
     Siva a été achevé et expédié en 1978, et dès lors j'ai travaillé à ce livre dont le thème principal est bien le judaïsme. J'ai étudié la Torah. Je ne lis pas un mot d'hébreu mais j'avais la traduction anglaise annotée par feu le grand rabbin de l'Empire britannique, que l'on considère comme la plus grande autorité du monde anglophone en ce qui concerne la Torah et le judaïsme... J'ai donc étudié la Torah, jusqu'à ce que je comprenne les thèmes sous-jacents qui s'y trouvent. J'y ai ajouté un peu de christianisme. J'y suis finalement revenu. Il s'est glissé insidieusement dans le roman. Il y a du chrétien là-dedans, mais on serait bien incapable de l'identifier comme tel, à moins bien sûr d'être une espèce de chré- tien professionnel, un érudit ou autre, qui remarquera alors que le christianisme s'est glissé par la porte de service... Je traite avec ce livre de la digression de la punition légale par substitution. Mais c'est dissimulé avec une habileté confondante sous du baratin et des termes d'une misérable inadéquation : j'ai pris certains des mots grecs et je les ai retraduits en anglais, ce qui donne une impression différente de celle dont nous avons l'habitude.


  LA TRANSMIGRATION DE TIMOTHY ARCHER

     ... Si j'ai atrappé la grippe, c'est parce que j'ai expédié mon dernier roman, Bishop Timothy Archer*, après avoir travaillé dessus comme un maniaque ; j'ai écrit les 90 dernières pages en deux jours. Hartwell m'avait dit : « Tout dépend de ta capacité à me fournir un manuscrit achevé IMMÉDIATEMENT », aussi me suis-je littéralement tué à la tâche pour le terminer. J'ai tenu le coup en me bourrant de café français, de scotch, d'aspirine et de sandwiches au pastrami. Et puis je l'ai fini, ce manuscrit, je suis allé le porter à la poste et je me suis aperçu que mon agent partait en vacances. Il a emporté le manuscrit avec lui et m'a téléphoné pour me dire qu'il le trouvait illisible et que c'était la première fois de sa vie qu'il essayait de lire un roman sans y parvenir. Même Gertrude Stein n'avait pas eu raison de lui, et James Joyce non plus. Cela m'a crucifié. Il m'a dit qu'il ne fallait pas m'attendre à recevoir de ses nouvelles avant un bon moment parce que cela faisait cinq jours qu'il essayait de lire mon manuscrit et qu'il n'y arrivait tout bonnement pas ; il avait donc laissé tomber et passait son temps à faire de longues promenades. Quand il a fini par regagner son bureau, il m'a appelé simplement pour me dire qu'il l'avait lu mais il ne m'a pratiquement pas fait d'autre commentaire. Il l'a envoyé à Hartwell, mais Hartwell vient de partir en vacances pour trois semaines et il a emporté le manuscrit avec lui. Je n'ai aucune nouvelle ; rien que le silence. Pendant tout ce temps, j'ai commencé à montrer des signes de fatigue à la fois physique et mentale ; je me suis mis à avoir des saignements gastro-intestinaux. Plus de scotch. Plus d'aspirine. Plus de sandwiches au pastrami. Le café, je ne peux pas m'en passer. J'ai vraiment été secoué ; j'ai poussé le bouchon trop loin en ce qui me concerne, et qu'est-ce que cela m'a rapporté ? Un manuscrit que mon propre agent n'a pas pu lire. « Il n'y a tout simplement pas de public pour ça, m'a-t-il dit. Il y a très peu de gens qui voudront faire l'effort de le lire. »
          (Extrait d'une lettre à Gregg Rickman datée du 26 juin 1981)

          Cher Gregg,
     Juste un mot pour vous dire que j'ai appris que David Hartwell a trouvé mon roman Bishop Timothy Archer « excellent » et qu'il est « enchanté », aussi sommes-nous parvenus à un accord. Plus tard dans la soirée, Paul Williams, notre ami commun, m'a appelé pour me donner plus de précisions. Ce sont les cent premières pages que David a le plus aimées et, au début, la fin l'a laissé perplexe, mais il a fini par trouver que ça allait. (En fait, je pense quant à moi que la fin est ce qu'il y a de meilleur dans le livre, mais que diable ; il a finalement décidé de le prendre tel qu'il se présente. ) Tout s'est donc bien terminé.
          (Extrait d'une lettre à Gregg Rickman datée du 29 juin 1981).


* Premier titre de The Transmigration of Timothy Archer. (N.d.T.)

     Première partie de cette bibliographie (romans publiés avant 1966).

© Pierre-Paul DURASTANTI.
© Gregg RICKMAN 1984 pour le texte original. Tous droits réservés.
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