Une critique de 'Blade Runner' par Denis GUIOT

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      Dans le no 306 de FICTION, daté de début (janvier ?) 1980, Denis GUIOT publiait une critique de Blade runner, qui venait d'être réédité aux éditions Lattès sous le titre « Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? »
On trouvera ci-après cette critique, très légèrement retouchée par son auteur en mai 1999.

SISYPHE BLUES

      Attention ! Il s'agit bien de la réédition de Robot blues, un grand Dick datant de 1968 et déjà paru en 1976 dans la collection Chute Libre. Le nouveau titre est le reflet fidèle du merveilleux titre original, mais la traduction n'a pas changé, toujours aussi curieusement chandlérienne pour narrer les aventures de Rick Deckard le chasseur d'andros.

      Nous sommes sur une Terre malade et désertée en majorité par ses habitants, asphyxiée par les poussières radio-actives et guettées par la bistouille : la bistouille, « c'est un principe universel, à l'oeuvre dans l'univers tout entier. L'univers entier, irréversiblement, se dégrade progressivement jusqu'à la bistouille finale ». Cette entropie à l'échelle cosmique est le symbole de la dégradation irréversible du processus mental à l'oeuvre dans la schizophrénie. Aliéné dans le couple et dans le groupe, le héros dickien est incapable d'assumer des relations normales avec autrui. Gommant ses propres tendances affectives, il nie l'autre en le réifiant et fuit dans la schizophrénie ce flot de simulacres qui l'assaillent.

      Car le simulacre est partout, principe de base de l'illusion quotidienne et de l'univers dickien. Dans Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? le simulacre est commissaire de police, chouette, crapaud, cantatrice, disc-jockey, et bien sûr, mouton. Mais comment reconnaître un andro ? Grâce au test Voigt-Kampf dont se sert Rick Deckard. Les andros donnent, en effet, à ce test des réponses caractérisées par une courbe plate, trahissant l'aplatissement des affects, l'absence d'empathie et l'atrophie des facultés affectives. Mais un schizophrène donne le même type de réponse ! Confusion mortelle qui traduit l'angoisse de l'auteur devant l'implacable montée de la bistouille ultime.

      Dans un monde sans but, dépersonnalisé, déserté et frappé de « Spaltung » (ou clivage du moi), où tout n'est qu'illusion, quel est mon rôle, se lamente Rick Deckard ? « Mes propres actes me sont devenus étrangers. D'ailleurs j'ai l'impression de ne plus rien avoir de naturel : je suis devenu une personnalité contre-nature ». Sentiment d'avoir à violer sa propre identité, itinéraire schizophrénique mais aussi angoisse existentielle devant l'absurdité de la Vie.

      « Il n'y a pas de salut » confie Mercer à Rick. Mercer le prophète avec qui on fusionne mentalement lorsqu'on saisit les poignées des boîtes à empathie. Mercer, dont l'éternelle montée vers le mort, dans la chaleur et sous les jets de pierre, fait référence à l'ascension sans cesse renouvelée de Sisyphe, poussant son rocher. Il n'y a pas de réponse aux pourquoi. La démarche dickienne de chercher un sens à l'existence à travers les illusions de réalités — et de ne pas le trouver — débouche sur l'absurde cher aux existentialistes.

      D'où la fuite schizophrénique.

      Car Dick ne peut imaginer Sisyphe heureux.

Denis GUIOT

© Denis GUIOT, publié avec son aimable autorisation.
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PKDLe ParaDick ... est hébergé par Dernière modification le 2 octobre 2002 à 15h07.
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