Réalité et simulacre

DÉFINIR LA RÉALITÉ
LE SIMULACRE
LES IMPLICATIONS DE DICK

    La mise en branle de la réalité est LE thème spécifiquement dickien, celui qui fait que son oeuvre se distintigue totalement de celle d'autres auteurs. La quête ce qui est réel est le fil conducteur de l'oeuvre de Dick.

DÉFINIR LA RÉALITÉ

    Celle-ci passe par une recherche de la définition de la réalité. Dick a tenté d'en fournir plusieurs. Par exemple : « la Réalité est ce qui ne disparait pas lorsqu'on cesse d'y croire » , ou encore « si je savais ce qu'est une hallucination, je saurais ce qu'est la réalité » . Ces petites phrases sont très typiques de la pensée de Dick, et nous apprennent beaucoup sur sa manière de voir les choses. Il serait intéressant de tenter de proposer des définitions qu'on jugerai plus adaptées (notons que le Petit Larousse nous dit, lui, que « la réalité est le caractère de ce qui est réel, ce qui existe effectivement » . On est bien avancé).

    À travers ces deux affirmations, Dick prend parti, et nous dit que pour lui, la réalité est d'abord et avant tout un espace de notre pensée, puisqu'il fait appel ici pour la définir aux notions de croyance et d'hallucination, deux notions qui font intervenir notre jugement subjectif. En fait, Dick nous dit que la définition de la réalité est une question d'opinion. Le propre d'une hallucination, c'est de paraitre réelle à celui qui la subit. Le propre de la croyance, c'est de rendre réel une idée, un concept, au moins dans la tête de celui qui le conçoit, si sa foi est sincère.

    On le voit donc, la réalité est différente pour chacun de nous, et une multitude de réalités coexistent. Ce point a été très bien compris par Dick. Rappelons-nous que Dick a lui-même connu les deux phénomènes : un certain nombre d'hallucinations (peut-être dûes à un savant cocktail de médocs, amphétamines et autres, de paranoïa et/ou schizonphrénie naturelles, et de penchant inné pour les idées tordues) ainsi qu'une croyance religieuse très profonde, bien que tout à fait particulière, dans la deuxième moitié de sa vie (voir l'Exégèse).

    Ainsi, son génie l'a poussé, puisqu'il avait compris la multiplicité apparante de la réalité, à rechercher la Réalité Ultime, celle qui malgré la subjectivité générale unit les êtres humains entre eux, celle qui crée une cohésion absolue et donne son sens à l'univers, en dehors de toute distorsion que pourrait lui appliquer la pensée humaine. En d'autres termes, celle qui est hors d'atteinte de l'humain. C'est dans ce contexte qu'a pris corps chez lui l'idée que « quelque chose ne va pas » , idée qu'on retrouve très souvent dans les réflexions de ses héros. Ce « quelque chose ne va pas » signifie pour lui l'intuition (teintée de paranoïa?) d'être trompé, abusé volontairement, l'intuition que sa réalité quotidienne n'est qu'un voile. Partant de là, il en a déduit que les réalités individuelles ne sont que des contrefaçons, des faux, des simulacres.


LE SIMULACRE

    Aussi, à mon sens, Dick a-t-il toujours cherché non pas à nous dire qu'il existe une multitude de réalité, mais que celles-ci ne sont que des simulacres masquant une seule Réalité unique et ultime. Supplantant celui de la réalité, le thème du simulacre devient alors le plus important, et va se décliner sous différents abords: simulacre de la réalité de perception, de ce qu'on voit (voir par exemple Les Pantins cosmiques), simulacre de la pensée humaine (Le temps désarticulé), simulacre du temps (voir Docteur futur, qui est pourtant le plus mauvais roman de Dick) et enfin simulacre de l'être humain lui-même (par exemple dans Les androïdes rèvent-ils de moutons électriques ?, retitré plus tard « Blade Runner » )

    Alors, certes, je vous l'accorde, on peut à ce stade penser que Philip K.Dick était un barjo total, un flippé doublé d'un frappadingue. Une seule chose compte pour moi : malgré les failles dûes à son imagination débordante, malgré les apparences du bon sens, son raisonnement se tient, et correspond à une façon unique de voir le monde. Je ne doute pas une seconde pour ma part que chaque individu connaisse une réalité qui lui est propre, je n'ai aucune idée de ce qu'est la réalité ultime, mais j'aime entendre des théories. Celle de Philip, pour flippée qu'elle soit, me plait bien.


LES IMPLICATIONS DE DICK

    Je crois nécessaire d'aborder ici un point qui me parait important pour comprendre la pensée de l'auteur : dans quelle mesure a-t-il cru à tout ce qu'il nous racontait ? La réponse est extrèmement délicate à donner. Y a-t-il cru, et si oui, quand et avec quels degrés d'implication ?

    On peut distinguer chronologiquement plusieurs périodes : dans les débuts de sa carrière d'auteur, c'est cette fameuse intuition que quelque chose ne va pas, sentiment latent qui le pousse à s'interroger sur ce qu'il croit percevoir (il imagine une foule d'univers dans lesquels les humains sont, pour des raisons et par des moyens divers, maintenus dans le mensonge de la réalité). À ce stade, il n'a aucune certitude, et il est probable qu'il est persuadé d'imaginer une quantité d'explications à ce qu'il ressent implicitement. La plupart de ces explications sont d'ailleurs tournées dans une direction plus ou moins proche : la réalité est masquée volontairement par un pouvoir quelconque, d'origine divine ou politique.

    Dans une deuxième période, qui commence pour moi avec le roman Ubik, apparait le thème de l'entité salvatrice : Dick gravite toujours autour de l'idée de la distorsion de la réalité, mais entrevoit qu'il y a un sens caché bénéfique, une raison secrète à tout ce que subit le monde, et que lui perçoit comme un vaste mensonge. Cette orientation nouvelle vers un espoir secret peut probablement être vue comme l'influence de son entrée dans la communauté catholique et de sa conversion. Là encore, Dick joue son rôle d'écrivain de SF, et pense toujours qu'il invente toutes sortes d'explications aux choses bizarres qu'il ressent.

    Sa vie personnelle le pousse un peu plus loin dans les affres de la drogue : une seule dose de LSD a suffit à lui faire voir l'enfer (Hallucination sous LSD ou vision fugitive de la réalité, telle sera l'interrogation qu'il en retirera), mais une quantité invraissemblable de médicaments en tout genre, agrémentés de joints et d'alcool, toutes ces joyeuses substances n'étant pas de nature à calmer ses penchants naturels. Le tableau n'est pas brillant.

    L'événement déterminant se produit pour lui en mars 1974, où Phil déclare avoir été mis en contact avec Dieu. Là se situe bien le problème : cet événement fut-il pour lui réel, où constitue-t-il une idée délirante de plus que Dick aurait exploité ? Dès lors, libre a chacun de penser ce qu'il veut à ce propos.

    Quoi qu'il en soit, à partir de là, son oeuvre prend un virage à 90o vers ce thème, qui sera quasiment son unique préoccupation. Dick se trouve de plus en plus lié au dogme catholique, qu'il va cependant déformer au gré des théories qu'il échafaude. Sutin et E. Carrere (2 biographes de Dick, le second ne faisant pas l'unanimité), affirment tous les deux que Dick croit alors réellement être un des premiers chrétiens, vers 70 après JC, l'entité oppressante étant alors l'Empire Romain (il dira fréquemment que « l'Empire n'a jamais pris fin » ), cette date constituant la « vraie » réalité. De même, il croit vraiment avoir été contacté par la puissance créatrice, et être investi d'une mission, peut-être prophétique. Pendant un certain temps, il affirmerait même qu'une autre personnalité vit en lui, un certain Thomas, lui-aussi résistant chrétien des 1ers temps.

    Tous ces aspects, qu'ils soient réels ou pas, se retrouvent dans le roman Siva, et constituent l'essentiel de ce qui arrive à Horselover Fat. Rappelons-nous simplement que Dick affirme au début du roman qu'Horselover Fat n'est autre que lui-même. Voila qui pose bien des problèmes.

    C'est cette dernière période qui est dite gnostique, et qui a donné naissance à des romans tout à fait spéciaux et à mon avis géniaux : Siva, qui raconte son expérience mystique, l'Invasion divine, qui traite du problème de l'incarnation, la Transmigration de Thimoty Archer qui relate ses interrogations religieuses en compagnie de l'êvèque Pike, et Radio libre Albemuth, qui continue sur la lancée de Siva.

    Pour finir,et continuer de nous interroger sur ce problème très délicat, prenons ce passage célèbre de la conférence qu'il a donné à Metz, en 1977, au cours de laquelle il a déclaré publiquement avoir rencontré Dieu :

    Je suis certain que vous ne me croyez pas, et ne croyez même pas que je crois ce que je dis. Pourtant, c'est vrai. Vous êtes libre de me croire où pas, mais croyez au moins ceci : je ne plaisante pas. C'est très sérieux, très important. Vous devez comprendre que pour moi, le fait de déclarer une chose pareille est sidérant aussi. Un tas de gens prétendent se rappeller des vies antérieures; je prétends, moi, me rappeller une autre vie présente. Je n'ai pas connaissance de déclarations semblables, mais je soupçonne que mon expérience n'est pas unique. Ce qui l'est peut-être, c'est le désir d'en parler.
    (Extrait du discours prononcé par Philip K.Dick à Metz, le 24 septembre 1977)

    Où est la réalité dans tout ça ? Sacré Phil...


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© Julien Mahoudeau

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